Depuis Porrentruy (Suisse).
«Faire premier français d’une étape ou du général, ce n’est pas le classement qui m’intéresse.» La nostalgie, mère nourricière du peuple du vélo, retrouve parfois des échos valeureux. Pierre Rolland, le leader d’Europcar, a l’ambition des champions insensés qui refusent le métronomique et le programmable. Sous le cycliste avéré, l’homme complet est déjà là, bien planté sur ses convictions, dans l’expression de ses sentiments et même, divines qualités, dans le courage et l’abnégation. Après la première «lessive» du Tour au sommet de La Planche-des-Belles-Filles, le protégé de Jean-René Bernaudeau aurait dû savourer. Septième de l’étape, avec cette ondulation des reins comme pour amortir les chocs, il fut en effet le seul Français à se hisser parmi les meilleurs, ne concédant que peu de temps aux ténors déclarés. «Le soutien du public m’a rendu plus fort dans la souffrance», affirmait-il. Il repensait aux séquelles de sa chute vers Metz. Dans sa vérité nue, malgré un coude meurtri et un organisme brinquebalé, il était l’un des rares à résister à l’armada Sky.
Car depuis ce week-end, le Tour s’est élevé en s’informant de son propre mystère. Un mystère très actuel, au nom bref et trois lettres qui claquent au-dessus de nos têtes : Sky. Lors de la vraie première ascension (1), l’équipe britannique a singé le passé. Au plus fort de la pente (6 km à 6,4% de moyenne), lorsque la sélection naturelle devint la règle des plus forts, l’allure infernale des Sky nous projeta en arrière. Nous crûmes revoir l’US Postal ou la Deutsch Telekom.
Pas un cauchemar. Juste le rêve de Bradley Wiggins, qui, à 32 ans, veut à toute force devenir le premier Britannique à gagner la Grande Boucle. L’ancien pistard, champion olympique, tout auréolé de son beau paletot jaune, dit avoir travaillé «comme un damné» pour y parvenir, acceptant de transformer sa silhouette de longiligne plutôt puissant en fildeferiste cadavérique à l’allure si fragile qu’on croirait son squelette de verre. Pensez donc: 1,90 mètre pour 68 kilos, certains préceptes ont resurgi de nulle part. «Maigri, et tu gagneras mon fils!», conseillaient les maîtres es victoires au début des années 90. Wiggins a poussé le régime jusqu’au corps évidé. Pas joli-joli.
Bradley Wiggins. |
Thibaut Pinot. |
(1) Le doux nom de La Planche-des-Belles-Filles masque une histoire légendaire tragique. En 1635, en pleine guerre de Trente Ans, des mercenaires suédois massacrèrent tous les hommes de la vallée et, pour échapper à leurs bourreaux, les femmes préférèrent le suicide collectif en se jetant dans les eaux du lac. Une seule survécue…
[ARTICLE publié dans l'Humanité du 9 juillet 2012.]
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