lundi 8 juillet 2013

Tour : quand Froome fait avaler la potion Sky

Le Britannique, dauphin l’an dernier de Wiggins, a mis la main sur le Tour après le franchissement des Pyrénées. Samedi, il a singé Armstrong en écrasant la concurrence. Hier, isolé et harcelé, il a contrôlé sans difficulté…

Froome, seul au milieu de ses adversaires.
Depuis Bagnères-de-Bigorre (Hautes-Pyrénées).
Il n’y a pas de hasard. Même dans les Pyrénées, où les parts d’ombres des héros peuvent donner du relief aux existences écrasées de sacrifices, toutes les performances sont étalonnées à l’aune de nos expériences récentes. Devant la façon virtuose qu’ont certains à effleurer le chaos en enfonçant les évidences, ne nous étonnons pas qu’ils manquent à la règle des mythologies, à commencer par la principale: celle d’avoir à être protégé par l’affection du public. Le Britannique Christopher Froome en sait quelque chose.

Il faut le voir de près, celui-là, pour comprendre à quel point l’onde néfaste des événements semblent traverser ce corps en action. Comme s’il subissait son sort le visage en suspens et le regard hagard, toujours porté vers le bas, vers ses jambes raclées jusqu’à l’os et sa carcasse sans chair qui lui donnent les contours d’un jambon de montagne asséché par les années en cave.
Lui si grand et si frêle avec ses genoux et ses chevilles qui appuient sur les pédales vers l’extérieur, jamais dans l’axe. Mais lui si puissant et agile, avec un rapport poids/puissance que l’on dit «bien supérieur» à la moyenne. Qu’on se le dise, désormais aucun fait de course ne changera l’opinion taboue: Chris Froome doit nous faire avaler la potion Sky ; seulement voilà, elle a du mal à passer. Sa manière d’éparpiller la concurrence, samedi, dans la montée d’Ax 3 Domaines, pourtant peu propice aux écarts décisifs, a agacé et provoqué quelques suiveurs et pas mal de managers d’équipes, tous K.-O. debout dès le premier round. Quant au chronicoeur, une seule référence en tête a surgi de la fréquence de pédalage du leader des Sky et de cette manière si singulière d’assommer le Tour dès la première étape de montagne: l’impression de revenir aux «grandes heures» d’un certain Lance Armstrong et de l’US Postal.  
Rien qu’une impression? Froome a réalisé le troisième meilleur temps de l’histoire de l’ascension d’Ax 3 Domaines (23’14’’). Jusque-là, pourquoi pas. Mais que dire alors, quand nous savons qu’il se classe juste derrière l’ancien boss de l’Us Postal (22’59’’) et Roberto Laiseka (22’57’’), l’un et l’autre ayant réalisé cet «exploit» en 2001? Réponse de l’entraîneur de la FDJ, Fred Grappe, sur Twitter: «Incroyable!!! On vient d'atteindre sur cette montée les limites physiologiques de ce qu'on pouvait attendre mais sur un organisme frais... fabuleux!!! » En conférence de presse, Froome a dû répondre aux doutes: «Je vous assure que je suis propre à 100%. C’est normal que les gens se posent des questions compte tenu de l’histoire de notre sport. Je sais que notre sport a vraiment changé. Je n’aurais jamais pu avoir ces résultats si le sport n’avait pas changé. Si les gens voyaient notre préparation, tout le travail effectué dans les stages de groupe en altitude, comme l’équipe fonctionne, ils comprendraient les résultats et ne se contenteraient pas de dire ‘’wouah, ils ont des résultats incroyable’’…» Cela ne vous rappelle rien?

A priori, le duel Froome-Contador ou la bataille Froome-Valverde n’auront donc pas lieu (1). Hier, pourtant, c’était à la vie à la mort entre Saint-Girons et Bagnères-de-Bigorre (168,5 km). Dès le premier col de la journée, le Portet d'Aspet (2e cat), une coalition hétéroclite s’est mise en place, pour isoler le maillot jaune, entre les Garmin, les Movistar et les Saxo. Sous les yeux de François Hollande, venu assister aux cinquante derniers kilomètres, Froome a été harcelé (en vain) au fil des autres cols, tous classés 1re catégorie, Menté, Peyresourde, Val Louron et Hourquette d’Ancizan, se retrouvant totalement dépourvu du moindre coéquipier, même son dauphin, samedi, Richie Porte, grand perdant du jour et définitivement exclu du podium final. Conclusion très provisoire: Froome est plus fort que la Sky ; mais la Sky c’est lui...

Après le franchissement du dernier col, situé à 30 kilomètres de l’arrivée, la formation Garmin a trouvé sa récompense en voyant triompher l’Irlandais Daniel Martin, vainqueur d’un sprint à deux du Danois Jakob Fuglsang (Astana). Nous reparlerons vite de la progression du neveu de Stephen Roche, dernier vainqueur de Liège-Bastogne-Liège et du Tour de Catalogne. Signalons au passage que nos deux espoirs français ont une nouvelle fois payé les pots cassés de la guerre des chefs. Pierre Rolland (Europcar), en quête des petits pois à Paris, a montré ses limites pour le classement général. Et Thibaut Pinot (FdJ) a connu une véritable déroute. Quant à Froome, il est allé chercher son paletot jaune sous les applaudissements timides du public. Dominer sans être aimé en retour est la croix de certains sportifs, surtout quand ils pratiquent le cyclisme récent, qui puise son évolution dans la métamorphose des corps mis à nu, rendus à une squelettique condition. Il n’y a pas de hasard.

(1) Contador et Valverde sont deux anciens « clients » du célèbre docteur Fuentes…
 
[ARTICLE publié dans l'Humanité du 8 juillet 2013.]

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