Laurent et Valérie. |
Une épreuve, car le livre de sa femme, Valérie, est d’abord le récit de la longue traversée de la maladie, quinze mois de course contre la mort, avec la peur et, au bout du chemin, l’inéluctable destin. Un enrichissement humain, car rien n’est tu de la douleur de la disparition, ni les sentiments, ni les errances psychologiques, ni les doutes intimes, ni même, et nous y trouvons là peut-être l’essentiel, la possibilité pour «celui qui reste», comme on dit, de revendiquer le droit de poursuivre le chemin avec en soi la trace-sans-trace de «l’autre», malgré le manque insondable, malgré la profonde et sournoise déprime, vaguement domestiquée après des mois de psychothérapie. Paul Valéry disait: «Un homme qui écrit n’est jamais seul.» Valérie Fignon n’a donc pas été seule. Et pourtant elle le fut si intensément qu’aucun mot ne suffirait à en décrire les contours. Seule, dans l’accompagnement. Seule, dans les heures sombres. Seule, dans le deuil. Seule, depuis l’absence. «Ai-je changé? écrit-elle. Évidemment. Je sais que je ne suis plus tout à fait la même mais je ne sais pas encore quel genre de personne je suis devenue.»
Toubibs. Une plongée dans le corps médical ; voilà l’un des grands intérêts du livre de Valérie. D’autant qu’à la fin de presque tous les chapitres, le médecin Michel Cymes, célèbre animateur sur France 5, donne son sentiment avec une rare intelligence sur l’expérience tragique des Fignon. Car ce que le couple a vécu dans sa relation aux toubibs relève souvent, trop souvent, de l’improbable. Laurent Fignon était une gloire sportive dont le nom, respecté, pouvait faciliter bien des aménagements? Certes. Mais les nombreuses anecdotes racontées par Valérie ont néanmoins de quoi surprendre – ou faire hurler de rage. «Est-il tolérable d’apprendre que l’on souffre d’un cancer par un simple coup de fil?», interroge Michel Cymes, surtout quand on est au volant de son véhicule à 130 km/h. «Le cancer est un salaud, il vous prend en traître, ce qui lui donne toujours un coup d’avance», confesse Valérie. Une première chimiothérapie ; puis une deuxième ; puis une troisième. Toutes inefficaces. Pourquoi? Il faudra neuf mois très précisément – du temps perdu – pour que les spécialistes détectent le cancer primitif: aux poumons. «Je suis convaincue qu’ils se foutent de nous, qu’ils ne font que survoler le dossier», écrit Valérie. Entre-temps, des semaines d’horreur, de fréquentations d’hôpitaux (même pendant les Tours 2009 et 2010 que Laurent continue de commenter pour France Télévisions) et de soins douloureux qui vont jusqu’à bousiller le système nerveux. La progression du mal, l’angoisse permanente, les médias en meute, quelques lettres d’insultes: rien n’est épargné à Laurent – mais heureusement pas la somme d’amour que rien n’altérera, entre eux, sans parler des témoignages du grand public. «Oui j’ai mal, mais je n’ai pas peur», dira Laurent à une infirmière. Le jour fatal, moins d’une heure après le décès, Valérie retourne dans la chambre d’hôpital pour s’assurer qu’elle n’y a rien oublié. «En y pénétrant, je crus m’être trompée d’endroit. Stupeur! La chambre était propre, elle venait d’être nettoyée. J’eus l’impression de me trouver dans une pièce sans âme dont l’aspect immaculé n’était rien de moins que la négation de toutes souffrances et de toutes les peines endurées depuis des mois. J’en restais les lèvres tremblantes et le souffle court. Ultime violence. Laurent Fignon avait bien séjourné ici. Avant de disparaître. Au suivant.» Le livre d’amour d’une femme blessée.
[BLOC-NOTES publié dans l'Humanité du 21 juin 2013.]
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire