Voilà donc l’image que se font certains de notre pays. Voilà donc les lois de l’argent et le sentiment d’impunité. Voilà donc la caste des puissants en smoking, d’ordinaire bien dissimulés derrière leur phrasé et l’onctuosité de leur élégance moralisante. Vous aussi, vous la sentez l’haleine fétide de ceux qui usent et abusent de leurs privilèges jusqu’à s’essuyer les pieds sur notre bien commun, la République? Affirmons-le sans détour: toutes les raisons invoquées pour «expliquer» le souhait du super-patron, Bernard Arnault, de revendiquer la nationalité belge ne résisteront pas à l’examen de conscience. Le signal est donné, et pas n’importe lequel, un point c’est tout.
Le boss de l’empire du luxe LVMH, première fortune de France et d’Europe, quatrième mondiale, aura beau raconter la plus belle histoire pour enrober de miel sa «tentation de Bruxelles», nous savons, nous, qu’en voulant quitter la France au plus mauvais moment, il signe une véritable déclaration de guerre. Une guerre économique, politique et idéologique. Une guerre de classe…
Les temps de crise ont ceci d’impitoyable qu’ils nous aident toujours à entrevoir la nature profonde de certains humains. En pleine tempête, tandis que des millions de citoyens sont passés dans le laminoir des injustices, tandis que le niveau de vie des Français est en baisse, selon l’Insee, sauf celui des plus riches bien sûr, le message délivré est le plus ordurier qui soit. Une honte, une lâcheté, une évasion morale, y compris vis-à-vis des salariés dont il a la responsabilité et sur le dos desquels il s’enrichit. L’ampleur de sa fortune personnelle, évaluée à 32 milliards d’euros (vous avez bien lu !), ne constitue en rien un gage d’élévation éthique et de savoir-être: elle est inversement proportionnelle à son comportement…
"Une" de l'Humanité, 10 septembre 2012. |
Avec le maître de LVMH, c’est aussi toute la droite défaite en mai dernier qui vient de s’exprimer, comme si une véritable opération de com avait été coordonnée par l’UMP. Faut-il d’ailleurs y voir la main invisible de Nicolas Sarkozy en personne, qui n’a jamais considéré l’impôt comme la base d’une citoyenneté partagée? Très proche de l’ancien président, l’ultralibéral Bernard Arnault était l’une des stars du Fouquet’s en 2007, et, durant cinq ans, il a bien profité des régimes de faveur octroyés aux grandes fortunes. Cet accro des privilèges a aujourd’hui peur d’une réforme fiscale touchant les hauts revenus. Raison de plus pour ne pas vider de sa substance la taxe à 75%, promesse de François Hollande qui, hier soir sur TF1, a fixé un «agenda du redressement» de la France en deux ans, tout en vissant les boulons de l’austérité… Désormais, seulement 48% des Français estiment qu’il «tient ses engagements». Le moindre recul en matière fiscale serait donc une grave erreur. En ce domaine, nous n’avons pas besoin de patrons sans foi ni loi, mais d’une réforme d’ampleur!
[EDITORIAL publié dans l'Humanité du 10 septembre 2012.]
1 commentaire:
J'ai lu plusieurs articles de M. Jean-Emmanuel Ducoin et je suis entièrement
d'accord avec vous, il a un talent indéniable congénital.
De plus en plus exceptionnel trouver des éditorialistes avec une disposition " pour " l'écriture soignée.
Enregistrer un commentaire