Qu'y eut-il de commun entre certaines déclarations estivales et les "violences" à Amiens, au coeur du mois d'août? Petite réflexion, à la faveur de la rentrée...
Echos. Le temps a paru hésiter, avant de s’emballer – une brusquerie d’autant plus cruelle que, les années s’additionnant aux années, l’exécution de la durée finit par sonner comme une sanction, un film projeté en accéléré provoquant cette improbable contraction de notre horloge universelle… Au cœur d’un été triomphant, les silences furent heureusement troués
par des échos lointains plus ou moins assourdissants. À l’ombre des montages, sur le pré pentu où s’épanchent des humains, des chats, des chiens et même parfois des poules égarées
par le chant du coq ininterrompu, nos rêveries se fixaient comme autant de piailleries démesurées. Mais l’œil malin continuait discrètement d’éplucher la presse quotidiennement.
Casseurs. Dans le maelström, les mots se bousculèrent sans forcément se corréler. Un jour de canicule, le philosophe Alain Badiou déclarait sans détour:
«Hollande nous fera cadeau d’un capitalisme fleuri. Dans ses grandes lignes, il représente une gauche de droite, disons une déclinaison particulière
de la droite.» Le lendemain, l’écrivain Richard Millet, auteur d’un livre abjecte (
Éloge littéraire d’Anders Breivik, Gallimard), dont il revendique à dessein les moindres adjectifs, assurait sans aucune honte:
«Dans cette décadence, Breivik est sans doute ce que méritait la Norvège, et ce qui attend nos sociétés qui ne cessent de s’aveugler pour mieux se renier.»
Vint ensuite l’entretien de Laurence Parisot, la patronne du Medef, histoire de se remettre dans l’actualité dominante:
«Il serait néfaste d’aligner la fiscalité du capital sur celle du travail.» Non moins perturbés, une semaine plus tôt, nous avions lu avec attention les longs comptes rendus des «émeutes à Amiens», où, selon certains envoyés spéciaux, des policiers auraient effectué un contrôle
«très agressif» à proximité d’un repas de deuil, puis malmené et même gazé la famille qui demandait qu’on respecte son recueillement, ce qui provoqua, vous le savez, une nuit de violences et la destruction par le feu d’équipements publics.
Serviteurs. Certains faits et gestes n’étant pas sans nous rappeler les événements de 2005, nous connûmes à cet instant précis le genre de troubles intellectuels nécessitant un minimum de recul. Le lecteur comprendra : en première intention, notre réaction fut assez radicale. En effet,
qu’étaient donc ces casseurs et ces incendiaires sinon de vulgaires
«crétins» se trompant non seulement de cibles (des bibliothèques, des gymnases, etc.), mais également de mode d’expression ? Pour le dire plus brutalement: ces pseudo-révoltés se comportèrent-ils en serviteurs involontaires de la société capitaliste, toujours prompte, et organisée, à réduire les classes populaires au rang de racaille? En somme: quelle définition pouvait-on donner de cette jeunesse ayant si peu l’art du collectif pour sombrer à ce point dans un nihilisme dévastateur – et quasiment suicidaire? Sous son soleil réparateur, le bloc-noteur affirma donc à son entourage que ces jeunes
«n’avaient rien à voir avec les valeurs de transformation progressiste de la société»… Affaire entendue.
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Amiens, août 2012. |
Dignité. «Émeutes ou révoltes?» Cette simple interrogation – qui fut l’objet de longs débats en 2005 – en appela une autre, dont les implications conceptuelles s’avèrent plus dérangeantes. La gauche de transformation a-t-elle, oui ou non, la responsabilité de reconnaître les exigences portées par les «révoltés» et/ou les «émeutiers», et de les intégrer, d’une manière ou d’une autre, à son projet politique ? Partant du principe que la situation dans de nombreux quartiers populaires est devenue socialement intenable, ce qui rend la «normalité» totalement «anormale», comment répondre sans leur tourner le dos aux révoltes urbaines des quartiers populaires afin de transformer ces pulsions de haine en pratiques collectives plus «politiques»? Ne le cachons pas. Des actes plus au moins radicaux ces dernières années, en Grèce ou en Grande-Bretagne par exemple, ne furent pas le fruit de simples casseurs à jeter définitivement au ban de la contestation du capitalisme. Ces exploités, qu’on le veuille ou non, ont participé de l’actualité politique et sociale en choisissant une (mauvaise) réponse à une (vraie) accumulation de dépossession, touchant leurs conditions matérielles minimales mais aussi leur sentiment de dignité… En Grèce, Alexis Tsipras, le président de Syriza, a déclaré qu’il «comprenait» les révoltés:
«Notre gauche n’adopte pas de pratiques émeutières et ne peut en être considérée comme responsable. Mais nous sommes tous partie prenante des révoltes spontanées qui exigent la dignité et le droit à la vie. Aujourd’hui, il n’y a pas de place pour les hésitations.» Avant de s’emballer, les hommes donnent toujours l’impression d’hésiter. Pas vous?
[BLOC-NOTES publié dans l'Humanité du 7 septembre 2012.]
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