Dans la dix-huitième étape, entre Pau et Luz Ardiden (129,7 km), victoire du maillot jaune Tadej Pogacar, qui écrase l’épreuve. A Pau, l’équipe Bahrain a été perquisitionnée par les gendarmes. Soupçonnée de dopage, une enquête préliminaire est ouverte.
Luz Ardiden (Hautes-Pyrénées), envoyé spécial.
Etait-ce dans ce curieux plaisir des essoufflements qui firent trembler les corps dans le martèlement irréversible de la pédalée, qu’ils éprouvèrent soudain le sentiment époumoné d’une supériorité? L’interminable dialogue avec les turbulences des cimes venait à peine de débuter dans les lacets du mythique Tourmalet (HC, 17,1 km, à 7,3%, 2115 m), emprunté par La Mongie, lorsque nous comprîmes que cette dix-huitième étape, entre Pau et Luz Ardiden (129,7 km), ne ressemblerait à aucune autre. Alaphilippe (encore) et Mohoric (souvent) achevaient leur escapade, rejoints par une petite troupe (Gaudu, Elissonde, Latour, etc.), et nous entrâmes dans cette zone d’élévations historiques propices d’ordinaire aux boursouflures de style. A l’arrière, les Ineos rythmaient l’ascension d’un peloton réduit à l’os. Il n’y eut aucune dramaturgie ; juste de l’accumulation de souffrance ; et la vaine tentative d’échappée de Gaudu. Le chronicoeur, d’expérience, se souvint que les circonstances du Tour, tragiques ou héroïques, furent toujours autant d’occasions de célébrer l’ode des forçats, à condition d’en comprendre le réel afin d’aller à l’idéal – pour paraphraser Jaurès.
Car tout commença très mal, au petit matin, à Pau. Nous furetâmes
au Village Départ, à la recherche impossible de quelques paroles de cyclistes encore
vivants à la passion, quand la rumeur nous rattrapa comme une traînée de poudre:
l’équipe Bahrain-Victorious avait reçu, la veille au soir à son hôtel, une
visite surprise sous la forme d’une perquisition menée par les gendarmes de
l’Office central de lutte contre les atteintes à l’environnement et à la santé
publique (Oclaesp). Scène assez habituelle dans le cyclisme, direz-vous.
Pourtant une première dans cette édition, qui nous renvoyait aux pires années. Le
parquet de Marseille confirma qu’une enquête préliminaire était ouverte «des chefs d'acquisition, transport,
détention, importation d'une substance ou méthode interdite aux fins d'usage
par un sportif sans justification médicale». Les responsables de l’armada
furent contraints de communiquer. «Il n’y a rien de spécial, nous
avons eu une visite de la police, ils ont demandé les fichiers d’entraînement,
ont vérifié le bus et c’est tout, précisa le manager de la formation, Milan Erzen. Ils ont dérangé les coureurs pendant une heure.»
Les autorités «se pencheraient sur le cas de cette équipe depuis l’année dernière», selon une source recueillie par l’Humanité, pour laquelle «il y a sûrement des éléments tangibles pour convaincre un procureur de réaliser une perquisition en plein Tour». Le chronicoeur ne ria pas sous cap, mais ne montra aucun étonnement devant ce nouveau déferlement de soupçons. La surpuissante Bahrain, irrésistible depuis le mois de mai, occupe en effet la première place du classement par équipes de cette Grande Boucle. Pour mémoire, elle y a déjà remporté deux victoires d'étape: le champion de Slovénie Matej Mohoric dans la septième, son équipier belge Dylan Teuns dans la huitième, au Grand-Bornand. Sonny Colbrelli, champion d'Italie au profil de sprinteur, s’illustre fréquemment dans les pentes, comme à Tignes où il prit la troisième place devant bon nombre de grimpeurs. Tout comme Wout Poels, qui lutta pour le maillot à pois jusqu’à Luz Ardiden. Sans parler de l'Ukrainien Mark Padun, vainqueur des deux dernières étapes du Dauphiné, en montagne, début juin. Ou de l’Italien Damiano Caruso, deuxième du général du Giro, fin mai. Des performances jugées «stupéfiantes» par certains observateurs ou directeurs sportifs actuels.
Les allusions fusaient depuis le départ de Brest et le chronicoeur se rappela que Bahrain est l'une des neuf équipes participant au Tour qui ne fassent pas partie du Mouvement pour un cyclisme crédible (MPCC), lancé en 2007 sur la base du volontariat, qui réclame à ses adhérents de respecter des règles plus strictes que celles en vigueur. Ultime mise en abîme bien utile à la compréhension – ou non – de l’épreuve en cours: parmi les neuf non-membres du MPCC figurent plusieurs des escadrilles les plus performantes du peloton, entre autres UAE, dont le leader slovène Tadej Pogacar porte le paletot jaune, Ineos, Jumbo et Deceuninck, ainsi que BikeExchange, Astana, Movistar et Trek…
Il était 16h50, quand il nous fallut revenir dans la légende. Par de basses températures, les 144 rescapés affrontèrent la brume et la montée terminale de Luz Ardiden (HC, 13,3 km à 7,4%). Dans ces rampes mortifères, nous assistâmes à une modeste course de côte par élimination (Uran, Lutsenko, Gaudu, Poels, Martin, O’Connor, etc.). Puis Tadej Pogacar accéléra, s’isola avec Carapaz, Vingegaard, Mas et Kuss, avant d’enfoncer le dernier clou de son hégémonie absolue. Il signa sa troisième victoire d’étape et enfila définitivement trois maillots distinctifs (jaune, jeune, grimpeur). Seul au monde, le gamin de 22 ans.
Ce fut là, sous les cieux pyrénéens, que le Chronicoeur ressortit une photo sépia de ses archives, tel un talisman qui ne quitte jamais sa valise de Juillet. Il revit Octave Lapize, en 1910, escaladant à pied les derniers hectomètres du Tourmalet, lui le premier cycliste à le vaincre, tractant à la force des bras un vélo d’ancêtre sur un chemin terreux et caillouteux nommé «le Cercle de la Mort». Devenu sergent et pilote d’avion, il tomba le 14 juillet 1917, lors de la grande Boucherie. Ce jeudi, alors que la patrouille rôdait sur le Tour, les coureurs avaient traversé Lourdes deux heures plus tôt. Aucun ne s’arrêta pour brûler un cierge.
[ARTICLE publié dans l'Humanité du 16 juillet 2021.]
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