À l’image des civilisations, les genres déclinent et disparaissent. Pas les habitudes… Il en est une qui nous revient périodiquement et constitue l’un des jeux favoris de tous les éditocrates libéraux en mal d’inspiration (double pléonasme): le goût pour les modèles politiques et économiques. Souvenez-vous. Ce fut d’abord le petit dragon celtique irlandais, présenté comme le «paradis fiscal» des entreprises à la mode. Puis ce fut le mirage espagnol, l’«eldorado» de la croissance. Les critiquer valait condamnation immédiate. Ces deux exotismes économiques ayant fait long feu, pour le plus grand malheur de leurs peuples, nos donneurs de leçons ont depuis trouvé leur nouveau viatique: l’Allemagne. Depuis plus d’un an, les petits serviteurs de la finance récitent leur leçon bien gentiment devant tous les micros: «Le libéralisme, ça marche. Voyez l’Allemagne!»
Pour endiguer les effets de la crise, Nicolas Sarkozy a donc transformé l’Allemagne en argument de campagne électorale. L’Allemagne comme unique référence. Le récit fantasmé que nous sert à souhait le chef de l’État aurait d’ailleurs de quoi irriter les proches du candidat François Hollande, si certains n’étaient eux aussi attirés par l’encombrant modèle dont le mythe fonctionne comme alibi.
Dans la bouche du président, le discours ne varie pas : au tournant de l’an 2000, le socialiste Jospin adoptait les trente-cinq heures alors que le social-démocrate Schröder entamait des «réformes» qui ouvraient ce que l’on nomme à l’Élysée «un cycle de suprématie». Sarkozy l’a donc répété: il n’y a pas d’autre choix que de s’aligner sur notre voisin, en tournant le dos aux «folies»… comme «la retraite à soixante ans».
Le mythe du modèle ayant enfin trouvé son «libéralisme efficace» ne résiste pas à l’examen critique. Que cache la croissance affichée et les chiffres du chômage officiels? Les dirigeants allemands, Schröder puis Merkel, ont mis en place un cocktail parfaitement néolibéral : austérité salariale et lois Hartz réduisant drastiquement les droits des chômeurs. Résultats? Le salaire réel moyen a reculé de 4,2% en dix ans. Quant au nombre de chômeurs, miraculeusement passé sous la barre des 3 millions, il est le produit pervers de la radiation des statistiques de 1,5 million de personnes disposant de petits boulots misérables : le chômage réel dépasserait les 6 millions… Et la croissance allemande tant vantée ? Dans la dernière décennie, elle a été inférieure à celle de la zone euro et de la France. Sans parler de la dette publique (supérieure outre-Rhin), de la démographie (favorable à la France) ou de la pauvreté : près de 7 millions de salariés touchent moins de 10 euros brut de l’heure, 5 millions se contentent de jobs à 400 euros par mois, sans protection sociale, et faute de Smic, 2 millions gagnent moins de 6 euros de l’heure…
Le «modèle allemand»? Un leurre lancé par le couple Merkozy pour comprimer les masses salariales et flexibiliser à outrance le marché de l’emploi, ce que vient de dénoncer l’Organisation internationale du travail (OIT). Pendant ce temps-là, les déclinistes continuent d’insulter la France et rejoignent – souhaitons que ce ne soit pas par vieille conjonction – les fascinés de l’Allemagne. Ce pays a conduit une adaptation brutale à la globalisation, tirant tout par le bas. Croire qu’il puisse y avoir une austérité utile et un serrage de ceinture qui paie est une erreur tragique, une erreur historique. Toute conscience de gauche ne peut que s’en détourner !
[EDITORIAL publié dans l'Humanité du 1er février 2012.]
Lire également: le reportage de Bruno Odent à Herne, en Rhénanie-du-Nord
(A plus tard...)
3 commentaires:
Maintient de Grèce dans l'euro : La Troïka et Merkozy au bord de la crise de nerfs
Sujet important. Tous les commentateurs nous saoules. JED a bien raison, il suffit de se souvenir quand ils nous vantaient les mérites de l'Irlande ou de l'Espagne... les cons !!!
Merci à l'huma pour ce travail de déconstruction.
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