Retraites. Scène de sortie de classes, l’autre soir. Autour d’un verre de vin, l’enseignant et quelques élèves préparaient la grande manif de jeudi – la toute première pour beaucoup d’entre eux. Jean-Jacques, vingt et un ans, s’étonnait que les jeunes générations ne soient pas associées au débat public sur l’avenir des retraites. «Nous sommes les principaux concernés, non ? Cela dit, penser à notre retraite est d’autant plus difficile qu’on ne sait vraiment pas quand nous commencerons à travailler… Obtenir une licence ne changera pas grand-chose pour moi.» Camille, même âge: «Le principe des retraites “à la française”, dit de solidarité, est le plus beau des systèmes. Ce qu’on nous prépare est un nouveau mauvais coup à digérer. On nous annonce un monde plus difficile qu’aujourd’hui. Mais que veut-on? Une régression lente mais régulière?» Charles, vingt-trois ans: «Moi, je vais peut-être attendre d’avoir trente ans pour décrocher mon premier CDI. Et en plus, il faut que je me fasse à l’idée de bosser jusqu’à soixante-dix piges? C’est ça, le monde que vous voulez nous léguer?» Camille: «On a tous l’impression d’appartenir à une génération crash-test, condamnée à s’épuiser au travail… quand on en a!» Jean-Jacques: «Travailler plus longtemps pour quel projet de vie? Juste pour devenir une “force de travail”? Pour avoir un jour une retraite à peine décente? Sauf si je suis trader, footballeur, ministre ou chargé de mission… On se moque de nous, non?» À ses côtés, Laurent, vingt-deux ans, prit la parole, rage en gorge: «On nous parle de pression démographique, de rallongement de l’espérance de vie, mais qui nous dit que, dans cinquante ans, ça sera toujours d’actualité? Personne n’a jamais pu prévoir, cinquante ans à l’avance, ce qui pouvait se produire socialement et économiquement…»
Fou-foot. Jamais loin, le monde réel. Et ce jeudi, avec la rumeur bruyante des quelque deux millions de manifestants, inutile de vous dire à quel point nous partagions la colère froide de Bernard Thibault. «On tente de manipuler l’opinion, déclarait le secrétaire général de la CGT. J’aime bien le foot, mais là, c’est du délire. Les médias ne parlent que des Bleus, l’Élysée reçoit un joueur et annonce… des états généraux du foot! Où sommes-nous?» Rien de surprenant à ce que Nicoléon n’aime que des grévistes… multimillionnaires et surtout inoffensifs pour les puissants. Avec le Palais, nous étions habitués de longue date aux sommets de conneries et de mépris. Une étape vient d’être franchie: que le prince-président puisse convoquer un Bleu – fût-il Thierry Henry –, un jour de mobilisation historique, démontre à quel point il nage dans son costume de président…
ONG. La mauvaise scène ne s’arrête pas là. Toujours ce jeudi matin, Nicoléon devait recevoir des ONG. Mais celles-ci avaient été prévenues, la veille, que le Palais annulait cette entrevue pour des raisons de calendrier. Informées que cette réunion se tiendrait avec le ministre des Affaires étrangères, Bernard Kouchner, et le secrétaire d’État à la Coopération, Alain Joyandet, les ONG en question avaient bien sûr accepté ce «changement de format». Patatras! Jean-Louis Vielajus, président de coordination SUD, qui fédère des ONG françaises de solidarité internationale, raconte la suite: «Nous avons appris que, finalement, ce serait Thierry Henry qui aurait l’honneur d’être reçu.» Prenant acte de cet ordre de priorité, les ONG décidèrent évidemment de boycotter le rendez-vous. «Pour le président, recevoir un footballeur est plus important que la situation des trois milliards de pauvres des pays en développement, précise M. Vielajus. C’est un très mauvais signal pour la politique de coopération de la France.» Rien à ajouter.
Citation. Le nicoléonisme est une signature qui griffe tout. Au royaume du prince élu, des copains et des coquins, leur République ne désigne plus la capacité à mener une confrontation d’idées pour quelque chose, entre des valeurs et des projets d’à-venir, mais à mener haineusement des luttes entre personnes, en stigmatisant les pauvres, avec pour seul profit le capital de quelques-uns et la division pour tous les autres. Petite devinette pour terminer. Qui disait : «J’ai, d’instinct, l’impression que la Providence a créé la France pour des succès achevés ou des malheurs exemplaires. S’il advient que la médiocrité marque, pourtant, ses faits et gestes, j’en éprouve la sensation d’une absurde anomalie, imputable aux fautes des Français, non au génie de la patrie»? Le général de Gaulle. Quelques grammes de finesse dans un monde de buts.
[BLOC-NOTES publié dans l'Humanité du 26 juin 2010.]
(A plus tard...)
2 commentaires:
Oser citer De Gaulle dans cette chronique, et avec ce contenu, voilà qui est à la fois audacieux et surprenant. Félicitations !
et de Gaulle a aussi dit que ce ne sont pas seulement les machines et les crédits qui font le progrès. C'est avant tout la valeur des hommes.
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