Ce qui, hier, était l’un des piliers de la passion, de la confiance, du vivre-ensemble intergénérationnel, du lien social et de solidarité, devient, par la volonté du Palais et le diktat des marchés financiers, l’odieuse prébende, la déchirure, la méfiance, la culpabilisation, l’envie et la régression à tous les étages. L’espérance de vie est un bien commun de civilisation. Comment admettre que l’on transforme ce progrès humain en un vulgaire handicap nécessitant d’abattre nos retraites, sachant que la somme à trouver représentera au pire 3% des richesses de demain, ce qui est loin des dix points de richesse déplacés des poches du travail vers celles du capital en un peu plus de vingt ans… Quel héritage partagé laisserons-nous à nos enfants, sinon la promesse d’une rigueur coulée dans le marbre européen, sinon cette prédation que la finance opère au détriment du travail sur la richesse produite ?
Dans le sondage exclusif CSA que nous publions, pas moins de 68% des Français soutiennent l’appel aux mobilisations de ce jour. Nous ne sommes pas surpris de cette continuelle et cristalline présence du peuple, celui qui se dresse, celui qui, périodiquement, sait dire «non» à l’inacceptable, celui qui témoigne ce matin dans nos colonnes... Peuple de luttes si décrié pour «toutes ces manifestations stériles», comme le prétendait un éditocrate, pronostiquant «l’heureuse fin de la retraite à 60 ans»...
Seulement voilà, le climat évolue vite et l’opinion publique entame à peine son long et patient apprentissage : la prise de conscience collective sur la réelle perversité du projet n’en est qu’à ses balbutiements. Certains ont parié gros en misant sur une éventuelle apathie citoyenne à la faveur du Mondial (sic) et de l’été. Éric Woerth l’admettait hier: «La mobilisation sera certainement forte, nous l’attendons, nous ne la redoutons pas.» Un aveu.
Chacun l’a bien compris : les jeux ne sont pas faits ! D’autant qu’il faut remonter loin – au CPE – pour que les syndicats et toute la gauche se retrouvent unis dans la même bataille. Pour un enjeu plus important encore. Car la France va mal, très mal. Et ses déchirements n’annoncent rien de bon. La gravité de la situation qui touche désormais toutes les catégories du monde du travail élargit inévitablement le spectre des combattants d’une transformation sociale radicale.
Ce jeudi 24 juin, la mobilisation constituera donc une étape cruciale dans la constitution d’un front large et populaire, pour faire reculer ce projet inefficace et injuste. Il y avait un million de personnes dans les rues le 23 mars dernier. Il ne serait pas étonnant que ce chiffre soit de loin dépassé… Et si la gigantesque entreprise de conditionnement mental des Français organisée par le gouvernement et tous ses relais subissait un revers de taille ? Et si la peur commençait à changer de camp? «Pour agir politiquement, il faut penser historiquement», disait le philosophe. C’est au peuple, debout, de faire l’Histoire.
[EDITORIAL publié dans l'Humanité du 24 juin 2010.]
(A plus tard...)
3 commentaires:
Voilà un bien joli texte, bravo à DUCOIN pour ces mots et son talent d'éditorialiste. Il a bien raison : ce n'est qu'une bande d'histrions qui a pris le pouvoir en France. Le pire est-il encore à venir?
La démontration du 24 juin est éclatante et, à mon avi, plus rien ne sera comme avant. La rentrée de septembre sera assurément très "chaude" et si le gouvernement reste inflexible je pense que tout peut désormais se produire. Pourquoi pas un nouveau 95 ?
Mille fois merci à JED pour ce texte sur nos retraites. J'attends avec impatience son départ sur le Tour : j'espère qu'il y va ??? Peut-il nous rassurer, le lire dans le journal est un bonheur total ?
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