Dans la vie des observateurs engagés que nous sommes, par la grâce de l’actualité et l’imagination du monde renouvelée, il est des moments très particuliers où se croisent l’Histoire avec un grand H et l’émotion de tout ce qui nous constitue. Il faut alors que les mots utilisés pour le dire s’engrènent dans une étonnante succession de simplicités, à tâtons, avançant ainsi dans la prudence, instruits du passé et sans rien ignorer de l’ampleur du chemin à parcourir. Ce qui va pourtant se passer à l’ONU dans les prochaines heures devrait rester comme un moment important de ce début de XXIe siècle. Tout indique que l’admission de la Palestine comme État observateur au sein des Nations unies sera votée par l’Assemblée générale. Comment ne pas s’en réjouir?
De même, comment ne pas se réjouir que la singularité historique de la politique étrangère française, malmenée ces dernières années, soit de nouveau à l’œuvre dans ce dossier ? Après quelques hésitations, Laurent Fabius a en effet confirmé que la France voterait en faveur de cette admission. Cet engagement solennel trouvera un écho favorable chez tous ceux qui, depuis des mois, se mobilisent au fil des initiatives de solidarité envers les Palestiniens. Sans cet élan populaire, que nous avons vu grandir, François Hollande aurait-il aujourd’hui le même courage?
D’autant qu’il ne s’agit là que d’une étape. Le rôle de la France? Être à la pointe de l’engagement, parmi les peuples de l’Union européenne, afin qu’une injustice vieille de soixante-quatre ans, aggravée par quarante-cinq ans d’occupation et de colonisation, trouve une juste réparation. La France, membre du Conseil de sécurité et porteuse de valeurs qui la dépassent, doit également tout mettre en œuvre pour empêcher les menaces de rétorsion israéliennes et décider de sanctions contre le régime de Tel-Aviv, tant qu’il n’appliquera pas les résolutions des Nations unies!
La reconnaissance en tant qu’État par l’ONU permettra à la Palestine de replacer le droit international au centre des discussions. Sans ce préalable, toutes les reprises de négociations auront le même destin que les précédentes: le renforcement de la position d’Israël, puissance militaire occupante, avec la complicité de grandes puissances mondiales. Depuis l’assassinat de Rabin en 1995, les dirigeants israéliens jouent avec le temps, n’aspirent qu’à la colonisation intensive et font tout ce qu’ils peuvent pour renforcer les ailes les plus radicales, en Israël comme en Palestine... Les choses devraient maintenant changer. Comment l’ONU pourrait-elle accepter la poursuite de la colonisation et de l’occupation d’un État reconnu en son sein?
Le peuple palestinien a tout à créer: il n’a hérité que du néant de la destruction, sur des terres martelées par l’injustice et les inégalités organisées par son voisin. Par ambition et non par naïveté, nous voulons donc croire aux passerelles qui atteignent d’autres horizons. Oui, le vote historique de l’ONU sera un acte supplémentaire vers un futur État palestinien indépendant, en tant que tel et de pleins droits, à côté de l’État d’Israël, dans le respect, la sécurité et l’indépendance mutuels. Il y a quelques jours encore, à Gaza, nous en étions au spectre du retour à la grande tragédie qui, depuis près de trois générations, a ensanglanté la région et mis plusieurs fois en péril la stabilité du monde elle-même. Ne l’oublions jamais. Cette bataille pour la justice, le minimum, est aussi un combat pour la paix, l’indispensable.
[EDITORIAL publié dans l'Humanité du 29 novembre 2012.]
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