Coupable. Percluse de servilité nihiliste, la sous-France est ressortie des urnes dans le fracas d’une mobilisation lepéniste préoccupante. Curieuse soirée électorale, n’est-ce pas. Comme si l’épaisseur de la couche bleu marine devait voiler l’ampleur du ciel rouge et son horizon. Pour absurde et injuste que soit ce raisonnement, puisque, tout de même, quelque trois millions de personnes en plus par rapport à 2007 ont choisi un bulletin Front de gauche et les clefs du futur, tenons-nous en, un instant, au retour du phénomène d’extrême droite. Car comment effacer des esprits et de la vie de nos concitoyens les scores obtenus par la famille Le Pen, qui, additionnés à ceux de Nicoléon, constituent un socle ultra-droitier et néo-pétainiste très considérable ? Le bloc-noteur, pessimiste en diable, plaide ici doublement coupable. Primo : d’avoir souvent joué (ce n’est pas un jeu) les oiseaux de mauvais augure en affirmant que l’épouvantable atomisation sociale actuelle pouvait produire le meilleur (un front du peuple) comme le pire (une réaction fascisante et xénophobe), le pire étant une éventualité sérieuse, au moins à court terme... Secundo : d’avoir cru, au passage de l’hiver, à la faveur d’une campagne du Front de gauche en tout point admirable, au reflux assez inexorable du vote en faveur de fifille-nous-voilà… Que les choses soient claires. Se sentir «coupable» n’est ici qu’une formule de style. Car la réalité de ce que nous pensons se situe en effet au milieu de ces deux plaider-coupable… Nuançons donc.
D’abord, une question : l’ampleur du score de Le Pen doit-il nous mettre dans un état de sidération? Réponse radicale: non! Osons même préciser: sans l’affaire Mohamed Merah, sans doute aurait-il été moins haut; mais sans l’ardeur au combat de Jean-Luc Mélenchon, sans doute aurait-il été plus haut… Sauf bien sûr si l’on considère que les 6,5 millions de Français qui ont préféré le Fhaine sont tous devenus d’irascibles racistes et xénophobes, ce qui, nous le savons, n’est pas le cas, même si nous sommes incapables de quantifier scientifiquement la réelle proportion d’adhésion aux idées lepénistes parmi les bataillons d’excités du bulletin.
Pétainisme. Les commentateurs présentent le vote FN comme un «vote de colère», rarement comme un vote de nature idéologique. Permettez-nous d’en douter. Certes, nous ne pensons pas que tous ces électeurs sont voués ad vitam aeternam à l’obscurantisme. Peut-être comprendront-ils un jour qu’ils sont victimes du syndrome de Stockholm: ils s’identifient beaucoup à leurs bourreaux potentiels. Néanmoins, rien ne permet de dire que ceux qui ont rallié ce camp l’ont fait «par défaut». Pour comprendre, référons-nous aux plus récentes enquêtes, datant de l’automne 2011, qui montraient que l’adhésion aux «idées» du FN dans l’opinion publique n’a jamais été aussi élevée, environ 30%. Notons, en complément, que le rejet catégorique de ces mêmes «idées» n’a jamais été aussi faible: environ 35%. Tous les indicateurs (sondages+urnes) le signalent donc: depuis qu’elle a pris la succession de droit divin du paternel, fifille-nous-voilà a, hélas, offert à l’extrême droite le changement d’allure (vitesse et blondeur) qu’elle souhaitait. Au point où vont les choses, est-il faux de prétendre que des millions de Français ayant voté Le Pen se réclament ouvertement du racisme, de la xénophobie, du rejet de la différence, de l’exclusion? Les spectres de la vieille France hantent encore notre histoire. Le nier s’apparente à un déni.
Social. Partant du principe assez élémentaire que c’est le réel que nous devons changer, ne négligeons pas ses spécificités comme ses nuances. Rien n’est vain ni définitif. Évoquons donc tous les aspects (tous !) de la réalité. Car depuis dimanche, comme par miracle, le résultat du Front de gauche (près de 4 millions de voix !) est régulièrement passé sous silence, quand il ne s’agit pas de le transformer en «échec». L’aveuglement des uns n’a d’égal que le calcul politique des autres. Un but préside à ce concert médiacratique: mettre les thèmes d’extrême droite au centre du jeu, pour continuer de nous éloigner des vrais sujets, l’égalité, le partage des richesses, les salaires, la formation, etc. En somme, détourner la colère qu’éprouvent nos concitoyens vers d’autres cibles, le voisin de palier, l’héritier de l’immigration, le professeur, l’épicier arabe, la femme de ménage un peu trop noire… Allez, une conviction contre l’horreur. Pour le lettré ayant lustré ses fonds de culottes sur les bancs de la République et usé ses yeux dans les livres des Illustres, mais aussi et surtout pour l’ouvrier martelé par les coups du capitalisme, le Front de gauche est la seule forme politique d’à-venir, en tant qu’elle place la question sociale au centre de tout son projet. Plus sûr moyen de ramener à la République tous ceux qui ont tourné le dos, sans le savoir, à leurs propres intérêts.
[BLOC-NOTES publié dans l'Humanité du 27 avril 2012.]
1 commentaire:
Merci pour cet édito, qui nous ouvre un peu plus les yeux. Regardez la carte éléctorale du 1er tour, et vous comprendrez pourquoi l'affaire est inquiéante, très inquiétante. Le combat ne fait que commencer, heureusement qu'il y a le Front de Gauche.
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