Affirmons-le: ce qu’une culture tient pour sacré peut se définir comme «ce qui n’est pas à vendre».
|
Surprise au Bataclan : Mélenchon est venu en personne. |
«L’homme de culture doit être un inventeur d’âmes.» En ampleur et en ambition, mais aussi parce qu’elle nous oblige à nous hisser plus haut que nous-mêmes, la phrase d’Aimé Césaire porte en elle bien plus qu’une indication. Une exigence. Presque une injonction. Avec ces mots-étendards contre l’ordre globalitaire, nous ne sommes pas des chevaliers errants quêtant la promesse d’un bonheur âprement disputé. Nous ne sommes que de simples républicains pour lesquels la vieille aspiration à la «culture pour tous» reste un horizon à conquérir. L’un des plus beaux. Celui qui donne du corps aux perspectives d’émancipation collective – et confère de l’esprit à cette part d’humanité puisant sans relâche dans le creuset de nos imaginations. Par là s’invente un nouveau monde, arraché à nos mélancolies.
Lundi soir, dans une salle du Bataclan trop petite pour accueillir la foule, le monde de la culture a relevé le poing comme on relève le gant.
«Il faut être éduqué culturellement pour pouvoir apprécier le monde dans lequel nous vivons», a lancé le candidat Jean-Luc Mélenchon. L’heure est grave. Car le règne de Nicolas Sarkozy aura été aussi mortifère en ce domaine que pour le reste. Dépourvu de toute culture de la culture, il ne pouvait que la penser à la hauteur de sa médiocrité… Ainsi, l’affaissement programmé de la culture signe comme l’achèvement du processus sarkozyste: transformer les citoyens en consommateurs, les contraindre à la sortie de l’histoire et des moyens d’agir pour la transformer.
|
San Severino au Bataclan. |
Avec lui, le concept de «culture pour tous» a été piétiné au profit (c’est le cas de le dire) de «la culture pour chacun», principe inégalitaire qui vise à opposer la prétendue culture d’une «élite» à celle du «peuple». Le mal est considérable. La captation massive du temps de cerveau disponible a accéléré la disparition des humanités, des classiques, brimant jusqu’aux aventuriers de ces vastes continents que sont les créations en tous genres. Jamais dans notre histoire contemporaine n’a autant progressé le formatage de la norme marchande à toutes les activités humaines, y compris gratuites. L’Homo œconomicus a été sacré dans les nouveaux temples du consumérisme, de la grossièreté sponsorisée et de la déculturation à tous les étages…
Et pourtant. L’homme descend du songe. Rappelons-nous-le, lorsque nous doutons des autres et de nous-mêmes, soumis que nous sommes à la dictature du consommer-jetable qui s’emploie à favoriser l’uniformisation et la banalité au détriment de l’excellence singulière. Et affirmons-le: ce qu’une culture tient pour sacré peut se définir comme «ce qui n’est pas à vendre». Voilà pourquoi le Front de gauche ne lâche pas son fil d’Ariane. Ses réponses à la crise de civilisation sont culturelles, parce qu’elles placent Philosophie et Raison au centre de tous ses objectifs universels. Pour avoir une vision du monde et anéantir la marchandisation avilissante, il faut une vision culturelle! La création, l’amour, la fraternité ou le don de soi n’ont rien à voir avec la loi du chiffre, qui défait le lien, disloque, isole. La culture est tout le contraire, symbole de partage.
«La culture ne s’hérite pas, elle se conquiert», disait Malraux. En ces temps de régressions
où les conditions de transmission des connaissances ne sont plus réunies, répétons inlassablement que le combat pour la culture n’est pas un supplément d’âme. Il mérite donc tous les moyens, toutes nos attentions. Dès lors, telle une nécessité vitale, l’insurrection civique que nous appelons de nos vœux sera aussi culturelle. Comment pourrait-il en être autrement?
[EDITORIAL publié dans l'Humanité du 4 avril 2012.]
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire