Réflexion très contemporaine autour d'un essai vivifiant, La Démocratie anesthésiée, de Bernard Vasseur.
Rêve. Puisque nous croyons aux passerelles non visibles qui atteignent d’autres horizons, puisque nous pensons que les idées peuvent se renouveler à condition de chercher l’air à grandes bouffées comme pour aspirer (encore et encore) le soleil de notre enfance, et puisque, enfin, nous ne cessons d’entamer le déchiffrage de notre propre mystère collectif, relisons avec empathie l’une des citations de Guy Debord:
«Partout où règne le spectacle, les seules forces organisées sont celles qui veulent le spectacle. Aucune ne peut donc plus être ennemie de ce qui existe, ni transgresser l’omerta qui concerne tout.» Quand l’agora se transforme en une vulgaire scène pour pitreries globalisées où tout s’égalise et tout se vaut, la démocratie s’y retrouve-t-elle? Osons paraphraser l’auteur de
Panégyrique. Dans un monde cul par-dessus tête, le vrai est-il un moment du faux? Et le rêve, oui le rêve, ne devient-il pas souhaitable, indispensable quand la nécessité se trouve socialement… rêvée ?
Essai. Dans
la Démocratie anesthésiée (Les Éditions de l’Atelier), le professeur de philosophie et directeur de la maison Elsa-Triolet-Aragon, Bernard Vasseur, prolonge sans détours le questionnement:
«Plus de temps de loisirs disponible pour se divertir plus longtemps? Faut-il se satisfaire d’un tel rabaissement consumériste et désenchanté?» Dans cet essai vivifiant où le nouveau visage du politique est sondé et décrypté, analysé et déconstruit, Bernard Vasseur en revient à un préambule grave:
«Quel objectif poursuit la démocratie aujourd’hui?» Torpeur, impuissance, inertie, etc., tout nous montre que cette démocratie est bloquée, la prise de parole monopolisée, le pouvoir confisqué. D’où provient ce blocage historique? N’est-il issu
«que de la lente anémie de pratiques séculaires d’une démocratie que tout le monde vénère» comme
«un étendard glorieux et qu’il suffirait de rajeunir un peu»? Ou est-il
«le résultat de l’anesthésie programmée d’une démocratie qui ne fait plus l’affaire en haut lieu», quelque chose
«comme l’ébauche d’un nouveau visage du politique se mettant progressivement en place et préparant tranquillement, sans bruit, en douceur, l’entrée dans un âge postdémocratique»? L’expression en choquera plus d’un et tant mieux :
«Un despotisme d’un genre nouveau», annonce-t-il. Soft et invisible, insidieux car imperceptible aux yeux du plus grand nombre. Prenant Tocqueville à témoin – un pied de nez –, l’auteur interpelle ses contemporains:
«Comment ne pas reconnaître, dans cette “servitude réglée et paisible”, que Tocqueville voyait comme menace possible à l’horizon des nations démocratiques de son temps, l’idéal majeur qui anime les puissants d’aujourd’hui et leurs serviteurs dans l’appareil d’État?»
Émancipation. L’altération des repères positifs de l’éthique a bel et bien des conséquences intellectuelles qui n’épargnent pas la politique. Dans cette société dont on nous assure qu’elle est désormais incapable de s’incarner dans quelque chose qui la dépasse, quelque chose de plus grand, de plus audacieux que ce qu’on lui promet quotidiennement, le goût du jour-le-jour et la fabrique de l’insignifiant-faute-de-mieux semblent s’imposer à tous. Sans discussion? Bernard Vasseur en doute. Il écrit:
«Beaucoup ressentent amèrement, au fond d’eux-mêmes, la comédie peu reluisante qu’on entend leur faire jouer. “Les peuples instruits sont ingouvernables”, disait le philosophe Alain, et ils comprennent que c’est pour mieux les “gouverner” et les “assagir” qu’on prétend les borner aux menus plaisirs courts sur pattes du strass et des paillettes, du supermarché et de TF1.» Et il suggère:
«Le combat pour l’émancipation humaine a occupé trop de siècles pour ne pas avoir marqué profondément les esprits et s’achever, comme un jour sans lune, dans la souveraineté vendue au peuple à la télévision, afin qu’il aime ce qui le soumet et ferme les yeux sur ce qui l’opprime.»
Priorités. Le réel voudrait nous voir disparaître du champ médiatique miné par le cynisme, l’argent et les notoriétés en plastique bon marché. Choisissons la fulgurance de Scott Fitzgerald:
«Il faut savoir que les choses sont sans espoir, mais néanmoins essayer de continuer à les changer.» Choisissons, surtout, la hiérarchie philosophique proposée par Montesquieu:
«Si je savais quelque chose qui me fût utile et qui fût préjudiciable à ma famille, je la rejetterais de mon esprit. Si je savais quelque chose utile à ma famille et qui ne le fût pas à ma patrie, je chercherais à l’oublier. Si je savais quelque chose utile à ma patrie, et qui fût préjudiciable à l’Europe, ou bien qui fût utile à l’Europe et préjudiciable au genre humain, je la regarderais comme un crime.» Rien à ajouter ?
[BLOC-NOTES publié dans l'Humanité du 14 octobre 2011.]
(A plus tard...)
1 commentaire:
"les choses ne sont jamais sans espoir, l'espoir fait aussi partie de l'humain, les choses peuvent changer encore et toujours et même rapidement à l'échelle de l'Humanité, un sénat à gauche par-ci, des printemps arabes par là, des indignés et des insoumis partout etc..." le discours des personnes "non instruites" est souvent le même que celui des personnes "instruites" sur le terrain et dans les débats de proximité : ce que l'instruction ne révèle pas l'instinct (de survie surtout en ces temps difficiles) l'exprime : le point commun : un ras-le-bol général de la république monarchique et bananière...un élu(e) "de terrain et de proximité" immergé dans le Peuple au quotidien le sait car il l'entend tous les jours ...PAT
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