Réseaux. Puisque «philosopher c’est se comporter vis-à-vis de l’univers comme si rien n’allait de soi», reconnaissons d’abord que la divulgation de documents confidentiels du département d’État américain par Wikileaks, ce site Web dit «de ressource et d’analyse politique et sociétale», ne bouleversera pas les relations internationales et embarrasse plutôt les détenteurs de secrets d’États que la masse des citoyens tenus à l’écart des grands choix stratégiques de leurs dirigeants. Au moins une chose est sûre. Dans ce monde globalisé, où l’information de moins en moins média-dépendante circule à la vitesse des réseaux, autrement dit en hyper-accéléré, la notion même de confidentialité n’a plus grand-chose à voir avec ce qu’elle fut jadis. D’où le questionnement de quelques penseurs de la modernité, pour lesquels une forme de «poujadisme participatif» serait le prix à payer de la révolution informationnelle. Sommes-nous entrés de plain-pied dans la société de l’information, avec ses conséquences, ses risques, ses dérives éventuelles ? Ou pénétrons-nous dans la société de la divulgation sur tout et n’importe quoi, avec la volonté affichée d’un pseudo-égalitarisme devant les secrets, velléité aussi naïve qu’improbable ? Jankélévitch : «Si tout est permis, rien n’est permis.»
Crime. Mais revenons un instant à notre vieux diplomate chafouin. Que dit-il, au fond, lorsqu’il redevient calme ? Ceci : «L’essence de notre politique étrangère, c’est notre capacité à dire les choses franchement à nos homologues étrangers et à maintenir ces conversations hors du domaine public. Cette fuite massive vient de ruiner, pour longtemps, ce principe de base des relations diplomatiques.» Faisons nôtres un instant ses interrogations légitimes. Wikileaks ne reste-t-elle pas une organisation opaque (sic) aux intérêts potentiellement controversés ? Pourquoi les contenus en ligne ont-ils été sélectionnés et expurgés, et à quelles fins ? Ces fuites font-elles avancer sinon la démocratie du moins la transparence ? Faut-il s’habituer à ce Big Brother d’un nouveau genre accroché en permanence à nos ordinateurs ? Enfin deux questions suprêmes. Primo : découvrons-nous là, non sans délectation, le miroir sans tain de ceux qui prétendent dominer le monde par la force et les manipulations les plus inavouables ? Secundo : à qui profite le crime ? Que les lecteurs pardonnent la prédominance interrogative, mais, pour répondre à la dernière question, il convient d’en poser une autre : puisque peu de chose que nous ne sachions déjà sont révélées dans ces documents sur les principaux chefs d’État ou de gouvernement (Poutine brutal, Merkel insensible, Berlusconi mafieux, Nicoléon autoritaire… quels scoops !), pourquoi les seules informations «pertinentes» diffusées dans ces documents concernent le Moyen-Orient ? Pas de crédulité. Pour les Américains, les «hasards» font parfois bien les choses. N’est-ce pas…
Karachi. Venons-en aux commentateurs assermentés, qui, à longueur d’antennes, nous jouent leur petite musique critique de défense des pouvoirs ainsi «violés», étant eux-mêmes, souvent, dans les alcôves d’où on leur donne l’impression d’être importants… Oseront-ils défendre l’auteur présumé des fuites, le brave militaire Bradley Manning, victime de discriminations et qui, rappelons-le, n’est pas en détention depuis des mois pour avoir révélé la haine entre Netanyahou et Ahmadinejad (!), mais bien pour avoir diffusé une vidéo montrant une bavure de l’armée américaine en Irak… Alors ? Ces outragés de salon défendront-ils les courageux et tous les contre-pouvoirs ? À ce propos. Les mêmes fieffés de la médiacratie courbée ne réclament-ils pas (à juste titre d’ailleurs) la levée du secret-défense concernant le dossier de Karachi, les sous-marins Agosta, les commissions pakistanaises, les rétrocommissions libanaises, etc. ? En matière de «transparence», décidément, certains ne sont pas à quelques grands écarts près…
[BLOC-NOTES publié dans l'Humanité du 4 décembre 2010.]
(A plus tard...)
7 commentaires:
Voici le coup de gueule d'une internaute de base du site internet de l'Humanité :
-Monsieur Ducoin, pouvez-vous m'expliquer pourquoi nous ne pouvons plus avoir accès à toutes vos chroniques sur le site de l'Huma ? Avant, on pouvait relire d'anciens bloc-notes à partir des dates, et si je me souviens bien on pouvait remonter au tout début de cette chronique, au moins en 2003 d'après mon souvenir!!! Alors oui, pourquoi? Suis-je idiote de ne pas réussir à trouver ça sur le site de l'Humanité? Dites-moi comment faire, pitié?
CATHERINE DANGELLE (Bordeaux)
Bonjour,
En effet, depuis le lancement de notre nouveau site internet, de nombreux disfonctionnements ont été repérés par nos services compétents, mais également par les internautes qui, quotidiennement, nous le font savoir. Concernant les chroniques – dont la mienne en particulier – je ne peux que constater, comme vous, qu’il est désormais impossible, en effet, d’accéder aux archives de ce bloc-notes, ce qui était jadis faisable (c’était même classé chronologiquement, de la plus récente à la plus ancienne, jusqu’en 2003…).
Beaucoup de lecteurs-internautes m’ont fait part de cette remarque et de leur souhait de pouvoir accéder de nouveau à ce service élémentaire, puisque nos archives ne sont pas payantes. Sachez que nos équipes font de grands efforts pour y parvenir au plus tôt et j’espère personnellement que ce sera le cas rapidement.
Merci de votre fidélité.
JED
Ces questionnements me font en effet réfléchir. Je suis très partagé devant cette histoire. A la fois choqué qu'on puisse divulguer ainsi des secrets d'Etat - en même temps très heureux que les peuples puissent découvrir la veulerie de nos gouvernants, à commencer par les Etat-Uniens. Pas simple... Merci à JED pour cette belle réflexion.
A.C
Très beau texte, vraiment merci à DUCOIN pour nous permettre en effet de réfléchir de la sorte.
La situation mondiale est déja pas terrible actuellement, alors je vois pas l'intérêt de rajouter de l'huile sur le feu en publiant ces "fuites"... Puis où est l'intérêt de ces notes? chaque pays a ses espions de partout et fait ses notes sur les autres pays. Alors pourquoi faudrait-il s'enthousiasmer ?
Justement, ce qu'il y a de bien dans le texte de JED, c'est qu'il n'est pas à sens unique. Cette affaire est compliquée. S'il n'y a plus de diplomatie secrète, où allons-nous ??????
WikiLeaks ou "la première guerre de l'information". L'expression a été lâchée par l'essayiste américain John Perry Barlow. "La première guerre de l'information est maintenant engagée. Le terrain de cette bataille est WikiLeaks. Vous êtes les troupes", écrit-il sur Twitter. Je trouve cette remarque très juste. Une nouvelle guerre a débuté - et il faut en être !!!
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