Depuis la station des Rousses (Haut-Jura).
Il y a quelque-chose d’impératif parfois à se devoir des preuves par lesquelles nous nous convainquons à nous-mêmes. Sylvain Chavanel a toujours été désarmant. De simplicité, quand il narre «son» cyclisme, avec les mots de ceux qui maîtrisent parfaitement bien leur environnement. De complication, quand il cherche à justifier sa posture en course, avec des explications à dormir debout. Seulement voilà, le coureur Français est un oscillateur comportemental à lui tout seul. Ces dernières années en furent la meilleure preuve.
Depuis qu’il a quitté (hélas) l’équipe d’Eric Boyer, Cofidis, pour le bastion imprenable et mystérieux de Patrick Lefevere du côté de la Belgique, chez Quick Step, nous redoutions, autant l’admettre, autant pour lui (l’homme) que pour sa carrière (la recherche de performances sans état d’âme), les mœurs de Lefevere n’ayant jamais été d’une clarté absolue. Je me souviens personnellement d’une discussion avec Chavanel, à ce propos. Je l’entends encore me dire : «Ce besoin de changer d’air est plus fort que moi. C’est ma seule solution pour viser autre chose. Pas forcément mieux, mais autre chose…»
Depuis deux saisons, donc, le Français navigue à vue mais il s’est probablement recentré sur des objectifs plus précis. Fini le temps des attaques que les journalistes s’obstinaient à qualifier d’«insensées», pour ne pas dire de «stupides», souvent à «contre-sens». Fini le cœur vaillant ne sachant patienter ? Fini le buté-borné, capable de dire «non» jusqu’à l’orgueil, «oui» sans raison ?
Ce que Sylvain Chavanel a fait depuis le départ de Rotterdam est tout simplement déroutant. Comme s’il avait laissé de côté la chaleur de l’enthousiasme qui entretenait sa flamme, pour laisser la place à un homme à l’émotion retenue, à la froideur trop réaliste pour être sincère. Comme si, en coulisses, quelqu’un lui dictait chacun de ses comportements. Le Poitevin l’a ainsi emporté lors de la deuxième étape, sortant miraculeusement indemne d’un parcours transformé en patinoire par le fameux «givre d’été», qui avait couché la moitié du peloton et provoqué une trêve improvisé des coureurs – ce que n’avait pas manqué de critiquer Chavanel.
Mais le lendemain, au terme d’un épique épisode sur les pavés vers Arenberg, Chavanel nous avait paru sinon désinvolte (n’exagérons rien) du moins trop peu concerné par la défense du maillot jaune, qu’il avait volontiersrendu à son coéquipier Fabian Cancellara. Je m’étais d’ailleurs étonné, dans mon article du jour, de cette attitude peu héroïque. Devrais-je le regretter ?
Quatre jours plus tard, renversement de tendance. Le Français s’est comporté aujourd’hui en caractériel de la belle espèce. De ceux qui rendent périodiquement grâce au vélo. Au terme de la première étape de (moyenne) montagne, Sylvain Chavanel a réussi à s’extirper pour, de nouveau, réaliser un coup double: étape et maillot jaune… A travers le Haut-Jura, autrement dit des pentes taillées pour ses qualités de puncheur instables, Chavanel n'a pas fait de sentiments. Autant sur les pavés il avait «bâché» un peu vite, autant, ce samedi vers la station des Rousses, il est parti à l'abordage «à la vie à la mort». A 40 km de l’arrivé, dans le col de la Croix-de-Serra, là même où Fabian Cancellara a flanché, le Français a décidé de toute faire exploser et de fuir en solitaire à 15 km de l’arrivée, lâchant inexorablement son coéquipier et compagnon Jérôme Pineau, premier attaquant du jour dès le km 1.
Qui aurait cru cela possible? Il faut remonter à Ronan Pensenc, voilà vingt ans, pour retrouver dans nos petites tablettes de suiveur le nom d’un Français ayant remporté deux victoires d’étape dans un Tour de France, tout en endossant le maillot jaune… Cet après-midi, en conférence de presse, Chavanel est resté sobre. Façon «j’assume tout». Quelqu’un lui demande: «Après votre fracture du crâne à Liège-Bastogne-Liège, pensiez-vous être au départ du Tour de France?» Lui répond: «Pendant les dix premiers jours, je n'y pensais pas. J'avais trop mal à la tête. Après, j'ai déjà pensé être au départ du Tour de Suisse. J'en ai bavé mais de jour en jour, cela allait mieux. J'ai énormément travaillé ensuite. Je savais que ce serait possible. (...) La roue tourne, j'ai tellement eu de malchance, tellement de fois, j'ai été repris à 1 km, 2 km de la ligne. C'est la vie. J'en profite un maximum.»
Pas même un sourire de contentement, à peine des hochements de tête si peu éloquents, pas un mot de trop. Voilà, Chavanel a changé. A 31 ans, on ne prendrait pas beaucoup de risque à évoquer la fameuse «maturité». Lui préfère dire: «Je suis vraiment très fort.» Et il ajoute: «Je me suis trouvé.» Chavanel a de la chance. Le cycliste se «trouve» rarement…
(A plus tard…)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire