Dans la quatrième étape, entre Redon et Fougères (150,4 km), victoire du Britannique Mark Cavendish, le revenant de 36 ans (DQT). Lors du départ, les coureurs ont mis pieds à terre quelques instants pour protester contre les nombreuses chutes des premiers jours. Ils ont renoncé à une grève.
Fougères (Ille-et-Vilaine), envoyé spécial.
De la casse. Et de la colère. Le Tour, en ses étrangetés, a donc furieusement renoué avec l’une de ces polémiques récursives qui secouent le peloton chaque année ou presque. Sur les routes de Juillet, la mémoire constitue un invariant et la possibilité même de l’oubli a été historiquement dérobé à son imperfection. Après la rocambolesque arrivée à Pontivy, lundi, secouée par de nombreuses gamelles aussi spectaculaires et effrayantes les unes que les autres, une sorte de fièvre revendicatrice s’était ainsi emparée de la caravane au départ de la quatrième étape, entre Redon et Fougères (150,4 km). Le soleil clignait furtivement entre les nuages ; un vent frais dilatait nos esprits ; les plaines agricoles et les bocages de l’Ille-et-Vilaine s’ouvraient devant nous. Le chronicoeur, habitué par les tensions des débuts de Tours, avait le sentiment de revivre une sempiternelle dispute : celle des chamboule-tout dus à la frénésie des premiers jours. Nous ne comptons plus les dizaines de chutes qui ont déjà émaillé l’épreuve depuis le Grand Départ à Brest, comme en témoignent les interminables communiqués médicaux, distribués chaque soir en salle de presse, par lesquels nous révisons nos cours de premiers secours: «traumatismes crâniens» et «lombaires», «plaies profondes», «fractures» en tout genre, «luxation» et tous les «hématomes» répertoriés. Suite aux propos incendiaires et incontrôlés de Marc Madiot, le patron de la FDJ, la grogne des coureurs étaient prévisibles – à défaut de devenir totalement légitime. Une question se pose malgré tout: ce qui s’avère «habituel» doit-il être «normal» pour autant?
Il était 13h25, à Redon, heure du début de la chevauchée, quand la Grande Boucle se figea quelque peu. En peloton regroupé, les 177 coureurs rescapés encore en course, avec au premier rang les principaux leaders – Mathieu van der Poel en jaune, Julian Alaphilippe en vert – venaient d’avaler à allure très modérée les neuf premiers kilomètres fictifs, traditionnel défilé destiné à saluer le public. Arrivés au départ réel (km 0), les coureurs, visiblement peu unanimes sur la démarche à suivre, continuèrent leur chemin, avant de s'arrêter quelques centaines de mètres plus loin, à l'initiative du sprinteur Andre Greipel. Pied à terre mais sans descendre de vélo, ils stationnèrent à l'arrêt une minute, puis reprirent leur marche en avant. Bref geste de protestation. Radio Tour nous informait: «Les coureurs demandent qu'un dialogue sur la sécurité s'instaure avec toutes les parties prenantes du cyclisme.» L’extension de la règle dite «du gel des temps» dans les trois derniers kilomètres des arrivées seraient en négociation.
Nous apprîmes alors que, au matin, l’idée d’une grève avait été débattue entre certaines instances, dont l’association des Cyclistes Professionnels Associés (CPA). Celle-ci fut finalement abandonnée, sans que nous ne connaissions très bien la nature – réelle ou non – des discussions. Via un communiqué, le CPA expliqua néanmoins que les coureurs s’interrogeaient «sur les mesures à prendre pour souligner le manque d'attention sur les problèmes liés à la sécurité». Soulignant toutefois «le respect» qu’ils exprimaient «envers leur sponsor, leurs groupes sportifs, les organisateurs et le public», ces derniers annonçaient qu’«ils exerceront leur métier de coureurs cyclistes professionnels dès aujourd’hui». La pseudo révolte restait sur la grève.
Une évidence s’imposait à toute force: si les conséquences de ces méchantes culbutes multifactorielles se constataient déjà dans les classements (Roglic et Thomas relégués, Pogacar retardé, Ewan éliminé des sprints après son abandon), celles-ci se paieront d’ici la haute montagne. Voilà pourquoi, ce mardi, nous guettâmes d’un œil attentif les moindres signes susceptibles d’accréditer la thèse: le cyclisme devient-il trop dangereux? Derrière deux échappés (Van Moer et Périchon), nous assistâmes au spectacle assez classique d’une cavalcade vers un sprint massif, avec ce stress indescriptible de la vitesse, ces spectateurs, ces topographies «modernes» des villes, sans parler de ces directeurs sportifs qui hurlent dans les oreillettes de nos forçats, etc. Pas de drame cette fois. Juste le triomphe du Britannique Mark Cavendish, le revenant de 36 ans (DQT), qui vint signer la trente-et-unième victoire de sa carrière sur la plus grande course du monde.
Face aux événements antérieurs, le boss du Tour, Christian Prudhomme, voulut tempérer. «Les parcours sont tracés et conçus par des anciens cyclistes, vous imaginez bien qu’ils ne souhaitent pas envoyer des coureurs à terre, disait-il. Je suis persuadé que même sur un circuit de F1 ou de moto, il y aurait des chutes.» Le directeur technique de l’épreuve, Thierry Gouvenou, ajoutait: «Maintenant, beaucoup trop d’équipes veulent rouler devant. Un leader a besoin de six ou sept équipiers, et tous roulent ensemble, en groupe, cela crée des bouchons et potentiellement des chutes, quand l’envie te fait dépasser la prise de conscience… On n’a plus aucune ville moyenne sans îlot, giratoire ou rétrécissement. Il y a dix ans, il y avait 1100 points dangereux sur trois semaines. Cette année, on sera à 2300. Si le niveau d’exigence devient trop important, on n’aura plus d’arrivée. On en est là…» Le Tour demeure ce monde en miniature qui engendre des événements à sa démesure. Et des controverses, aussi.
[ARTICLE publié dans l'Humanité du 30 juin 2021.]
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