Miroir.
Omerta.
Parthénogenèse. Tabou. Peurs. Pressions. Autoprotection. Autocensure… Les mots
se bousculent à l’évocation de «l’affaire» Denis Baupin, homme politique de
premier plan, désormais ex-vice-président de l’Assemblée nationale, soupçonné
de harcèlement et dénoncé publiquement par de nombreuses femmes, dont nous
louerons l’ampleur du courage, probablement puisé loin en elles tant il s’avère
difficile –en ce domaine si particulier– de parvenir à libérer sa propre
parole, de chasser ses doutes, ses craintes de répercussions pour ses proches
ou sa carrière. Bien au-delà du cas particulier de cet homme que tout semble
accabler et qui projette, de nouveau, sur un certain monde politique un miroir
sans tain, prenons ces cris de dignité pour ce qu’ils sont, cinq ans après le
cataclysme DSK: en parlant, ces femmes changent la nature même du combat contre
ces agissements insupportables et, hélas, trop souvent enfouis. L’une d’elles
dit d’ailleurs: «Le silence me rendait complice.» Elle ajoute: «Non
seulement nous sommes des victimes, mais nous évoluons dans un milieu où le
pouvoir est associé à la notion de force, où il ne faut jamais avoir l’air
faible.»
Et une autre précise: «Je savais que si je parlais, non
seulement je serais discréditée,mais je donnerais une mauvaise image de mon
parti.» Pour
ceux qui connaissent un peu les coulisses de ce pouvoir-là, la parole ainsi
libre et libérée –enfin!– brise l’«interdit», à savoir dire, alors que
l’interdit, le vrai interdit, est évidemment ce qui a été subi et devrait être,
à chaque fois, réglé par les tribunaux. Or, nous savons que dans les affaires
de délits sexuels les délais de prescription sont trop courts pour permettre
aux victimes de porter plainte. En général, et nous comprenons pourquoi,
celles-ci ne sont capables d’aller devant la justice que lorsqu’elles ont déjà
entamé un travail thérapeutique. D’où ce sentiment d’impunité: les
comportements des hommes se modifient peu, et ce sont les femmes qui continuent
de s’adapter à ces comportements révoltants.
Journalistes.
Le
bloc-noteur doit un aveu. Un aveu pas si anodin que cela. Il a beau chercher
dans la mémoire vive de ses (bientôt) trente années passées à l’Humanité, il ne
connaît pas une journaliste de la rédaction du journal de Jaurès qui, depuis
plus d’un quart de siècle, d’une manière ou d’une autre, n’ait eu à être
confrontée à des mots sexistes, à des attitudes déplacées, ou pire. Et,
sachez-le, comprenez-le, cela concerne tous les milieux dans lesquels elles
exercent leur fonction: auprès des hommes politiques et de leur entourage, des
chanteurs, des acteurs, des artistes de tout poil, des sportifs (dieu merci
pour elles, rares sont les femmes, à l’Humanité, à s’être occupées de ce genre
journalistique-là), des entrepreneurs ou des dirigeants subalternes d’entreprise, etc.
La liste est longue, assez inépuisable. Et si les femmes journalistes de l’Huma
se décidaient à publier le récit de leurs mésaventures –souvent sans
conséquence, parfois plus scabreuses ou psychologiquement très dures–, un
numéro entier du quotidien ou du magazine n’y suffirait pas…
Domination.
Comme
beaucoup se complaisent, dans leur vie quotidienne, à confondre amour et désir,
beaucoup se refusent à la différenciation entre «drague» et «harcèlement». De
même, quand on confond une fonction avec le pouvoir, le pouvoir se transforme
vite en domination. Nos sociétés patriarcales et archaïques restent dominées
par les hommes. Là où il y a domination, il y a toujours tentative plus ou
moins affirmée de soumission. Les femmes en sont –depuis des millénaires– les
premières victimes. Les temps changent. Certes. Mais, franchement, vous ne
trouvez pas, vous aussi, que ce changement prend du temps, vraiment beaucoup de
temps?
[BLOC-NOTES publié
dans l’Humanité du 13
mai 2016.]
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire