D’ordinaire, l’intelligence des humains permet de limiter l’exercice de leurs décisions à tout ce qui regarde leur rapport avec les choses, où elle est on ne peut plus vitale. Passés au laminoir du train fou de l’économie libéralo-globalisée, nos gouvernants ont-ils perdu tout sens des réalités au point de nier leur propre intelligence, leurs promesses, et même ce qui a constitué, un jour, leur engagement solennel dans le camp du progrès, celui de la gauche? Si certains cherchent la vraie «part d’ombre» (sic) du tandem Hollande-Ayrault, qu’ils analysent froidement ce qui s’est passé mercredi 17 avril au Conseil des ministres et ils comprendront comment et pourquoi certains socialistes ont lâché leur fil d’Ariane – la lutte pour la justice –, qui, par tradition républicaine, a toujours reposé sur l’union du populaire et du régalien.
Mercredi, donc, le gouvernement a présenté son «programme de stabilité» pour 2013-2017. Le choix des mots est déjà un programme ; le contenu, une horreur. La France prévoit en effet un nouveau tour de vis de près de 20 milliards d’euros pour 2014, après les 40 milliards de cette année, concentré principalement sur ce que le premier ministre en personne nomme «les dépenses». L’objectif? Rentrer dans les clous à coups de marteaux.
Lisez plutôt: «Nous devons convaincre la Commission européenne de notre sérieux», avouait un proche conseiller de Jean-Marc Ayrault. Jadis, on voulait rassurer Billancourt ; aujourd’hui c’est Standard & Poor’s qu’on ne veut plus désespérer. Restait à Pierre Moscovici de mettre ça en forme: «Ce qui importe pour moi, c’est que la réduction du déficit nominal procède de celle du déficit structurel et pas l’inverse.» On appréciera au passage la sémantique novlanguesque. Hier, Ayrault assurait mener une «politique de gauche» pas «de l’incantation». Mais, samedi dernier, avant le conseil national du PS, il affirmait: «Il n’y a pas d’alternative à notre politique.» Soyons cruels: ça ne vous rappellerait par hasard la prière libérale de Margaret Thatcher, «There is no alternative»? Curieux pied de nez auquel est venue se mêler Angela Merkel. Elle a souhaité, mercredi, le «succès» de la France pour réduire ses déficits. Vous avez voté Hollande ou Merkel au second tour de la présidentielle?
Rassurons-nous. À entendre MM. Hollande, Ayrault et Moscovici – il y a quelques semaines nous aurions pu rajouter Cahuzac –, il ne s’agit en aucun cas d’une politique d’austérité. Selon eux, leurs choix depuis onze mois permettent au contraire «d’éviter l’austérité». Au-delà de la supercherie, vérifions le sens exact. Définition du mot «austérité» appliquée à l’économie, lue dans le Larousse 2013: «Visant à limiter les dépenses…» Que ces messieurs s’inspirent vite de Camus: «Mal nommer les choses, c’est ajouter du malheur au monde.» Or le malheur en question enfonce les portes. Le FMI et l’OFCE viennent d’annoncer que la France était en récession. Nous y sommes…
Après l’administration Obama, qui conseille à l’Europe de penser un peu «à la relance» (on croit rêver), l’OFCE s’inquiète d’une zone euro qui boit «le calice de l’austérité jusqu’à la lie». À défaut d’entendre les héritiers du Temps des cerises, nos gouvernants écouteront peut-être ceux qui les ont poussés dans la nouvelle religion de la finance. C’est même urgent. Car, pendant ce temps-là, l’espérance de vie en bonne santé, qui progresse depuis la Seconde Guerre mondiale, stagne en Europe, selon une étude qui évoque «un indicateur important des politiques européennes». Faut-il une meilleure preuve que les logiques austéritaires conduisent au pire?
[EDITORIAL publié dans l'Humanité du 18 avril 2013.]
1 commentaire:
Admirable démonstration, rien à ajouter - bravo.
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