Maurice Herzog n'a pas effectué en solitaire le premier 8.000 de l'histoire, beaucoup le croient ou l'ont cru. Louis Lachenal, guide, a joué à ses côtés un rôle essentiel. Et pourtant la mémoire officielle, impulsée par Herzog lui-même, l'a oublié pendant quarante ans. Une réédition nous aide à comprendre.
Herzog au sommet de l'Annapurna. |
Louis Lachenal est mort en novembre 1955, perdu dans une crevasse de la vallée Blanche. Maurice Herzog, bientôt secrétaire d'Etat, prend lui-même en charge sa veuve et ses deux fils. Cinq années avaient filé depuis le «premier 8.000». Et Lachenal n'avait jamais avalé la pilule.
Tout comme Gaston Rébuffat d'ailleurs, également présent à l'Annapurna en 1950. C'est lui qui, avec Lionel Terray, avait guidé Lachenal et Herzog dans la tempête, leur sauvant la vie au lendemain du sommet. Mais Rébuffat, révolté par la mythologie martiale à «la Herzog», qui avait rempli par la suite des salles pour conter SON aventure en gommant ce qui ne le concernait pas, n'a pas moufté. Le guide marsaillais-chamoniard, comme il le disait un jour, est resté à l'écart de ce «misérable piédestal». Un contrat d'exclusivité signé par tous les membres de l'expédition l'engageait au silence. Il l'a respecté.
Louis Lachenal. |
Sachant qu'ils risquaient engelures et peut-être pire, pourquoi les deux hommes avaient-ils poursuivi leur montée? Lachenal l'expliquait dans des notes que l'on peut désormais parcourir. Extrait: «Nous étions tous éprouvés par l'altitude, c'était normal. Herzog le note pour lui-même. Plus encore, il était illuminé. Marchant vers le sommet, il avait l'impression de remplir une mission, et je veux bien croire qu'il pensait à sainte Thérèse d'Avila au sommet.» Et ces phrases de Lachenal qui ne laissent plus de place au doute: «Moi, je voulais avant tout redescendre, et c'est justement pourquoi je crois avoir conservé la tête sur les épaules. (...) Je savais que mes pieds gelaient, que le sommet allait me coûter. Pour moi, cette course était une course comme les autres, plus haute que les Alpes, mais sans rien de plus. (...) Pour moi, je voulais redescendre. J'ai posé à Maurice la question de savoir ce qu'il ferait dans ce cas. Il m'a dit qu'il continuerait. Je n'avais pas à juger de ses raisons. L'alpinisme est une chose personnelle. Mais j'estimais que, s'il continuait seul, il ne reviendrait pas. C'est pour lui et pour lui seul que je n'ai pas fait demi-tour. Cette marche au sommet n'était pas une affaire de prestige national. C'était une affaire de cordée.»
Le témoignage du biographe de Gaston Rébuffat, Yves Ballu, est à ce propos sans détours: «Lachenal était guide. Herzog amateur, c'est un point capital. Quand il dit à Herzog qu'il ne peut pas le laisser partir seul, c'est le guide qui parle: il sait que personne ne lui pardonnerait de redescendre seul, ayant abandonné son chef d'expédition. S'il continue, il sent qu'il va y laisser ses pieds. Mais s'il ne convainc pas Herzog, il ne peut pas faire demi-tour.» Cette aventure a hanté Louis Lachenal. Et depuis 1955 quelques alpinistes (trop discrets).
(1) «Les Carnets de vertige», écrits en 1955-56 par Gérard Herzog, frère du conquérant de l'Annapurna, à partir des notes de Louis Lachenal. Ils viennent d'être réédités par Michel Guérin et deux passages sont inédits, dont les «Commentaires» de Lachenal sur l'Annapurna. Par ailleurs, le chapitre «Journal de l'Annapurna» est rétabli dans sa version initiale, non édulcorée. (380 pages, aux éditions Michel Guérin - 1996.)
[Article publié dans l'Humanité en décembre 1996.]
4 commentaires:
Merci, juste merci pour cet article.
Qui a pris la photo représentant Maurice Herzog agitant le drapeau tricolore? Dieu lui-même? Le Yéti? Non, bien sûr , c'est forcément Louis Lachenal. Pourquoi faire un mystère de cette histoire?
Pour des raisons bassement politiques?
Il suffit de lire le livre d'Herzog pour comprendre que c'est Herzog lui-même - ni dieu ni personne - qui a fait de son aventure une histoire à son unique profit. En oublitant totalement ses partenaires, à commencer par Lachenal... Tout simplement.
Pour lire le livre paru aux éditions Guérin, il faut se lever de bonne heure (comme pour aller en montagne), il n'est plus édité et est difficile à trouver en occasion. A lire, celui écrit par David Roberts "Annapurna une affire de cordée" même éditeur.
Christophe
Enregistrer un commentaire