Rowling. Pour lutter – malgré soi – contre le scepticisme dominant qui s’octroie les mérites de toutes opinions préétablies sur tout et n’importe quoi, il n’est jamais trop tard pour ne pas taire ses faiblesses (assurément considérées comme telles) et pourquoi pas passer aux aveux, même les plus incongrus, quitte à s’attirer les foudres de la « critique » instituée en oligarchie journalistique (propre aux personnages d’anciens régimes)... Livrons ainsi sans détours la plus improbable des confessions qu’il se puisse imaginer par les temps qui courent : oui, le bloc-noteur a aimé le dernier livre de J.K. Rowling. Voilà, c’est dit. Avec d’autant plus de sincérité qu’il y a comme une évidence à imaginer que toutes les précautions d’usage ne serviront ni de caution morale ni de paratonnerres à toutes les diatribes possibles et imaginables, et au fond assez légitimes si l’on n’a pas lu les 680 pages du livre en question. «Comment ? Il a osé lire ça, lui, et en plus il a aimé? Inconcevable, mon dieu!» Inconcevable peut-être, mais bien réel. «Une place à prendre», publié chez Grasset pour l’édition française, s’avère non seulement digne d’intérêt mais passionnant à plus d’un titre, à condition de vouloir dépassionner la discussion sur le buzz médiatique ayant précédé la sortie mondiale du livre (pas simple), mais surtout à condition de parvenir à oublier «Harry Potter», la première oeuvre qui fit connaître J.K. Rowling (encore moins simple). L’auteur avait prévenu: ce texte «destiné aux adultes» ne ressemblerait en rien à sa série blockbusterisée pour la jeunesse. Elle n’avait pas menti.
A un détail près. Si la romancière s’est en effet engouffrée dans le genre purement réaliste en écartant toute trace de merveilleux, c’est encore une fois dans la description des adolescents qu’elle excelle au fil de ce qu’il faut bien considérer comme un retour sur terre plutôt brutal à en juger par son constat désespéré de la société contemporaine. «Une place à prendre» épingle avec talent les maux dont souffre la «middle class» britannique, tous les maux, ceux des adultes donc ceux de leurs progénitures, les vrais héros de ce récit moins « grand public » qu’il n’y paraît. Cette fois, J.K. Rowling ne raconte pas une histoire mais les conséquences de plusieurs histoires parallèles qui se déroulent dans une cité fictive, dont les habitants sont secoués par la mort brutale d’un notable influent. Véritable radiographie d’un univers en perdition.
Défavorisés. Comme référence, beaucoup d’observateurs anglo-saxons ont évoqué Dickens. Rien d’étonnant, même si Pagford, ladite ville fictive, ultra-réaliste jusque dans les moindres détails, pourrait tout à fait exister en Angleterre en France ou ailleurs. Car voyez-vous, le notable qui disparaît dès la deuxième page du roman mais dont la présence spectrale hante tous les personnages, avait la particularité de militer activement pour les plus défavorisés. Sa mort apparaît donc comme l'occasion – sinon le prétexte – de redistribuer les cartes au conseil municipal. L’enjeu? Les habitants de Pagford détestent la ville voisine de Yarvil, qui abrite pourtant leurs administrations comme leurs usines. Cette situation géographique serait supportable s'ils ne devaient assumer en plus ses logements sociaux, dont ils sont contraints de financer l'entretien…
Conscience. La plupart des personnages de J.K. Rowling sont affreux, haineux, hypocrites et cyniques, et, dans leurs tourments sordides et tragiques, nous nous prenons à avoir de la sympathie – et même plus – pour les plus paumés d’entre eux. Autopsie d’un monde en perdition: viols, violences familiales, drogue, vols, délations, mensonges, amoralité totale, aucun milieu social n'est épargné. Mesquineries et mensonges règnent partout. Seuls rescapés, ou presque, les femmes et les adolescents. Et surtout les plus défavorisés. Certains diront que la noirceur de ces pages – pour ne pas dire la caricature de certaines descriptions «socialisantes» – empêchent l’état de grâce d’un auteur en mal de reconnaissance littéraire. Vous entendrez même dire que J.K. Rowling, comme pour contrecarrer son statut de grande fortune d'Angleterre, en rajoute dans le descriptif psychologique pour nous révéler sa conscience sociale... Sauf que cette peinture glaçante et glauque de la société anglaise fonctionne, pour nous, comme la critique lucide de notre époque. La conscience occidentale capitaliste a perdu un à un ses repères familiers, et pour cause. Par temps de crise, les écrivains explorent parfois avec bonheur cette panique contre l’oubli… Une question pour finir. Est-ce pour vous, chers lecteurs, surprenant, irritant, déroutant voire carrément décevant d’oser écrire qu’il est possible d’aimer ce livre? Lisez-le. Et nous en reparlerons.
[BLOC-NOTES publié dans l'Humanité du 9 novembre 2012.]
3 commentaires:
"Derrière la fausse humanité des Modernes, se dissimule une barbarie ignorée de leur prédécesseurs" (F. Engels 1843)
Personnellement, je suis en train de lire l'Oeuvre romanesque de Fédor Dosoïevski, dans le texte.
Faut avouer que c'est pas mal non plus pour explorer en profondeur la conscience humaine à l'âge capitaliste. Pas sûr qu'on ait fait mieux depuis.
Седершно
Voilà un commentaire qui en surprendra plus d'un, j'en suis sûr en effet et JE Ducoin a raison de prendre des précautions pour oser le dire. Pour ma part, j'ai lu ce livre (comme celui d'Angot que j'ai détesté aussi) et j'ai trouvé le récit passionnant et même haletant. Je confirme qu'il faut lire ce livre.
CAMILLE
Voilà qui me donne envie de lire ce livre, merci.
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