Guerre. Au courrier cette semaine, la lettre
d’une consœur très mécontente enjoignant le bloc-noteur
à plus «de retenue» dans ses critiques vis-à-vis des éditocrates qualifiés ici-même, la semaine passée, de néonationalistes et de néofachos. Ainsi donc, à vouloir dénoncer de la sorte ceux qui, je cite, «luttent vraiment contre le politiquement correct» (sic), votre serviteur serait ni plus moins un «prolophobe» dans la mesure où il négligerait les «vraies préoccupations des citoyens survivants des quartiers populaires, à savoir l’insécurité, la montée de l’islam, l’absence de vie sereine». Vous avez bien lu. Notre correspondante, dont on taira le nom par esprit républicain, parle de «citoyens survivants», comme s’il s’agissait d’une guerre. Celle des cités bien sûr. «Cher Monsieur, poursuit-elle, de bien mauvaises herbes prolifèrent ici ou là et viennent polluer les belles fleurs de la pensée journalistique. Être anti-réac est à la mode. La mode passera. Et vous avec.» Autant le dire, la violence de la forme témoigne d’une faiblesse de fond. Quand les réacs coalisés œuvrent en meute, feignent l’indignation et jouent l’irruption verbale face aux attaques, le retentissement symbolique ressemble à un assourdissant – et significatif – aveu. Se voir de la sorte accuser de pratiquer on ne sait quelle «chasse aux réacs» comme pour «se donner bonne conscience sans le moindre effort intellectuel» (dixit) nous confère au moins un gage de crédibilité. Ce qui n’empêche pas une forme de colère, lorsque nous lisons ceci: «Vous faites la démonstration que point n’est besoin de faire des recherches, des lectures ou des enquêtes de terrain pour tenter de cerner les réalités les plus dérangeantes.» L’argument est connu: «Bon nombre de Français se lassent de cette situation
et ne goûtent guère aux leçons d’antiracisme, comme au bon vieux temps de Mitterrand, dispensées par les journalistes ayant élu domicile, pour la plupart d’entre eux, quelque part entre la maison de la Radio et la Bastille.» Voilà pour le fiel.
Honte. Trois informations. Primo: le bloc-noteur a le privilège d’annoncer qu’il vit à Saint-Denis, dans un quartier ultra-populaire du 9-3, et s’il n’idéalise rien, bien au contraire, il est plutôt fier de participer à l’essence bigarrée du monde et de se battre pour l’avenir du vivre-ensemble, là où l’égalité recule sous les assauts de l’atomisation sociale et des renoncements du service public. Secundo: la vérité oblige à admettre que faire partie de la «corporation» (journalistique) n’octroie en rien un passeport en amitié vis-à-vis de tous ses pairs. Tercio: partager une carte de presse avec certains n’est ni un honneur ni une gloire, la plupart du temps une honte… La preuve: «Vous autres et vos amis chasseurs de réacs, lit-on encore, nous ressortent leurs sempiternels discours sur la peur de l’autre et la stigmatisation. Vous n’êtes plus en 1793, il est fini le temps de faire la révolution et je ne suis pas encore au bout d’une pique.» On pourrait s’offusquer d’une aussi absurde évocation. Mais réjouissons-nous. Car la réac du jour, à l’image de ses congénères, se vit à l’évidence en personnage d’ancien régime. Et c’est bien ce qu’elle est. Chaque mot dit ou écrit, réentendu ou relu à l’aune des imprécations qui fleurent mauvais les temps maudits, nous parle d’une volonté de restauration maurassienne et/ou vichyste – et de rien d’autre. Qui sont les «prolophobes»? Les pseudos «intellectuels» ne manquent pas pour étaler leurs obsessions identitaires contribuant à la «lepénisation» des esprits. Dénonçons-les d’autant plus fort qu’il n’y a pas que Zemmour, Rioufol ou Ménard… Alain Minc n’a-t-il pas déclaré récemment que, «d’ici un an», il pourrait «probablement» déjeuner avec Marine Le Pen? L’avocat général Philippe Bilger n’a-t-il pas appelé à la «création de l’UMP-FN»?
L’avocat Gilbert Collard n’a-t-il pas assuré que «Marine Le Pen est la seule qui ose exprimer haut et fort le non-dit d’une France exaspérée»? L’écrivain Denis Tillinac n’a-t-il pas écrit qu’existaient des «risques de guerres civiles» du fait des «minorités visibles»? Luc Ferry n’a-t-il pas osé dire que Marine Le Pen était «républicaine et démocrate»?
Et il faudrait se taire?
Post-scriptum. Fondamentalement, les gens ne croient qu’à ce qu’ils savent déjà ou imaginent. Le bloc-noteur invite donc tous les confrères qui le souhaitent à venir passer quelques jours dans son quartier, histoire de découvrir le monde réel, tel qu’il est, populaire et vivant, souvent difficile et parfois merveilleux. La rue Albert-Einstein, à Saint-Denis, est très facile à trouver. Même les taxis parisiens viennent jusque-là.
[BLOC-NOTES publié dans l'Humanité du 15 avril 2011.]
(A plus tard...)
10 commentaires:
Voilà en effet "une réplique" cinglante. Bravo pour ce coup de gueule tout en retenue. Le dernier paragraphe est fabuleux. Ca me rappelle le temps où les communistes habitaient encore dans les quartiers populaires, où ils y faisaient le lien social qui n'existe plus de nos jour.
Merci, JED.
Géniale réplique. Merci pour ça et le reste.
MICHEL
Merci JED de rappeller certaines vérités. Malheureusement,par les temps qui courrent,la plupart des journalistes sont aux ordres,et pour eux,faire du Fhaine,est politiquement correct. Souvient toi que la chasse aux fachos est interdite par ordre du roi,mais que la chasse aux communistes est ouverte toute l'année.
La plupart des journalistes sont au pire des chiens de garde qui , pour mieux masquer le vide de leur cervelle et leur propension à servir l'ordre établi, essaient de se rendre intéressants en faisant le BUZZ avec ce qui a de plus répugnant...Au mieux, ils participent à la petite musique de fond de la presse , inintéressante et loin des préoccupations des prolétaires dont ils prétendent se faire la voix .
On peut pardonner tous ceux qui triment de CDD en CDD et de piges en piges mais là ,effectivement on est à un autre niveau: celui d'une réac assumée qui bave sa haine ...qu'importe la bave du crapaud réactionnaire n'atteind pas la blanche colombe communiste...
Tout cela exhale un mauvais parfum de guerre civile...en devenir
Non, ce n'est pas une "guerre civile", comme l'écrit le dernier internaute, mais bel et bien une "guerre intellectuelle", qu'il nous faut mener pas à pas, sans rien lâcher. Car après, il sera trop tard.
Alors merci à JED pour son courage d'écriture.
Le pied total, de lire ce genre de texte. Ca déménage, en effet, et ça fait un bien fou qu'un journaliste (de talent) s'implique à ce point dans ce qu'il écrit. C'est tellement rare, tellement devenu rare ! Alors chapeau bas, Monsieur DUCOIN.
Ce texte est en tout point un régal. Un vrai régal. Les réacs ne méritent rien d'autre que des répliques cinglantes de la sorte.
Quand un journaliste s'implique personnellement à ce point dans ce qu'il écrit, c'est à la fois déroutant et magnifique. Rien à ajouter.
TRES BIEN! la corpo des journalistes est à l'image de la société : il y a les bons et les mauvais...les bons pour moi vivent vraiment sur le lieu de leurs observations,d'ailleurs ils vivent ce qu'ils écrivent car la parole c'est bien mais l'acte de vie au coeur de la cité et de ses difficultés c'est mieux...n'est pas "social-journaliste" qui veut et les conditions de vie sont le meilleur terrain d'observation pour sauvegarder la démocratie...PAT
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