Quand l'irruption de la fraternité et du partage continue de nous exalter. Et quand la jeunesse prend les choses en main...
Paradigmes. La Fête de l’Humanité, comme une évidence. L’après-événement s’étire en nous comme les ombres de la fatigue au long cours qui nous a remis en présence les uns des autres, l’espérance et nous, la politique et nous. Entre la lumière grisâtre et les couleurs chatoyantes des mots, l’apparent décalage n’était qu’illusion. La Fête fut grave et belle ; la Fête fut d’allégresses et d’intelligences accumulées. Pourquoi le taire ? La Fête en sa grandeur humaine reste longtemps en nous, comme exemple vivant d’un espace collectif qui nous dépasse et nous unit. Vigueur revisitée. Telle une adolescence retrouvée qui nous serait commune et donnerait encore des bouffées de jeunesse. Résistances, idées, colères, révoltes, fidélités, ambitions : nous avons tous en nous quelque chose de la Fête. Nous pourrions retourner tous les paradigmes, nous parviendrions à la même conclusion. Il s’agit bien d’un trésor national érigé par le Peuple de la Fête lui-même, héros d’une socialisation unique en son genre. Le contempler agrandit nos souffles. Nous rêvons la Fête. Mais la Fête nous rêve aussi.Jeunesse. L’irruption de la fraternité et du partage a toujours quelque chose d’exaltant, de jouissif. Ainsi donc, la Fête a «déposé de l’espoir sur la fin de nos étés», comme l’écrivait dans nos colonnes l’ami Pierre-Louis Basse.
Bien sûr, la pluie violenta aveuglément les allées, plantant en nous la soif de ciel qui affole le soleil. Mais la joie entrait par tous côtés, pour déambuler dans cette ville annuelle qui transforme l’horizon en ourlets d’imagination à déplisser. Après ces trois jours vécus à un rythme endiablé, la question presque rituelle nous hante (un peu plus chaque année) : comment « poursuivre » la Fête pour que son esprit, sa vivacité et ses combats nous tiennent par la main sans jamais la lâcher bien au-delà de septembre ? Comme le confesse le président des Amis de l’Humanité, Ernest Pignon-Ernest: «La Fête est une preuve de ce que l’Humanité devrait être toute l’année, mélange d’échanges et d’idées, d’immense maturité politique et de jeunesse du monde…» Il ne croyait pas si bien dire. Peu de commentateurs l’ont souligné, mais l’édition 2013 a éclaboussé par sa jeunesse – «même aux Amis de l’Huma, hein, n’oublie pas de l’écrire!» souhaita Didier, l’une des chevilles ouvrières du stand. Ces jeunes en nombre, avec leur impudique effronterie, étaient conscients du moment de leur vie et de celui du monde environnant, à la fois attentifs, doux, rieurs, polis et impolis, plus combatifs qu’imaginés, c’est certain, aspirant en tous les cas à éprouver toutes les émotions intensément, curieux d’histoire et de géopolitique, indifférents au(x) pouvoir(s) et à toute idée de propriété, rétifs au système des réseaux d’influence, à l’affairement généralisé, libres en somme, sachant mélanger leurs admirations à leurs songes inavouables pour mieux dénoncer la sauvagerie plantée au cœur de la société et dont ils sont souvent les premières victimes. Chaque trait de leur visage pouvait témoigner de cette sauvagerie : leur simple présence à la Fête fut la plus belle marque de leur implication dans la vie réelle – pour la transformer.
Grâce. Voilà, le bloc-noteur aurait pu, cette semaine, vous parler de l’état du monde et du quotidien minable et honteux de nos existences. Il aurait pu vous parler des dernières révélations de Mediapart sur le système Dassault à Corbeil-Essonnes ; ou d’un certain Cahuzac, dont on apprend que, comme député, il piochait dans ses frais de mandat pour financer des «dépenses personnelles, ce qui paraît contraire à l’esprit de cette indemnité», et qu’il a eu l’audace de réclamer des remboursements afin de payer ses déplacements pour ses auditions devant le juge ; le bloc-noteur aurait pu reparler encore de la Syrie ; ou des injustices de la fiscalité actuelle ; voire de la «réforme» des retraites ; et pourquoi pas de fifille-nous-voilà dont la promotion médiatique et politique atteint des degrés d’indécence tels, que, depuis des semaines, nous avançons poings serrés, cœurs lourds, avec nos regards d’accident et nos morsures de crispation aux visages. Comme vous, parfois, un caillou de silence barre notre sang. Voilà pourquoi il était utile de faire durer le désir (déjà) et le plaisir (durable) de la Fête, pour que l’à-venir du monde en questions (pluriel volontaire) trouve des réponses, pour que, surtout, l’espèce d’état de grâce post-jubilation qui nous unit à notre espérance ne risque pas de s’atténuer en s’épuisant dans le train-train quotidien, sous les coups reçus et la dépression morale du moment, qu’il convient de ne pas sous-estimer. Allez: c’est curieux comme la Fête est courte à la longue, malgré notre impression d’être encore au sommet de la nuit alors que le quotidien va revenir en tenue de service. La Fête comme une évidence, qui nous encourage et réclame son dû. Mais nous lui devons tant.
[BLOC-NOTES publié dans l'Humanité du 20 septembre 2013.]
4 commentaires:
Merci pour ce joli texte, qui me fait regretter d'autant plus mon absence, cette année , sur le stand de l'Aveyron ! Je ne peux donc pas jouer les prolongations, mais l'année prochaine ...
Texte magnifique sur la Fête. Vive les Amis de l'Huma!
Formidable texte, intelligent et formidablement bien écrit.
Oui, merci pour ce beau texte. Mais cela ne m'empêche pas de penser que la Fête de l'Huma est en crise d'identité et nous sentons son lent déclin, année après année, comme un truc inexorable. Le contester ne sert plus à rien. Ou la Fête invente un autre modèle, ou nous courrons à la catastrophe.
Merci à JED et vive les Amis !
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