Dislocation. Dans la Confession d’un enfant du siècle, publiée en 1836 entre deux insurrections révolutionnaires (1830 et 1848), Alfred de Musset tentait de sonder les mystères de son époque en utilisant cette formule restée célèbre : «On ne sait, à chaque pas qu’on fait, si l’on marche sur une semence ou sur un débris.» Comment mieux résumer ce à quoi nous semblons faire face, dans cette France d’ici-et-maintenant aux arriérations idéologiques si prononcées qu’elles menacent jusqu’aux équilibres républicains élémentaires. L’absence (collective) de courage du présent, en tant que signe clinique de la fuite créatrice du réel, nous instruit sur la décomposition avancée de l’esprit citoyen français et des structures humaines afférentes, essentiellement due à la dislocation sociale, à laquelle viennent s’ajouter par capillarité toutes les autres blessures profondes de notre temps : crise de représentativité, des institutions, de l’éducation, générationnelle et éthique, etc., tandis que la plupart des actions publiques, réduites parfois à des danses macabres, se trouvent dévalorisées et souvent inopérantes.
Puisque l’heure de l’inquiétude est pour nous largement dépassée, ne cachons pas notre gravité devant le bruit assourdissant de ce carillon de l’histoire qui n’en finit plus de sonner sans réveiller les consciences. À ce titre, le surgissement prévisible de Marine – bien plus dangereuse que Le Pen – est-il un symptôme durable ou un avertissement conjoncturel? Tout a été dit (ou presque) sur les récents sondages frelatés qui nous réfrigèrent et n’ont pour fonction qu’un épiphénomène allusif. Dénonçons au passage la funeste complicité des journalistes (et des publications) dans ces opérations politico-médiacratiques, illustration supplémentaire de l’amoralité de l’appareil d’information dominant.
Propagande. Néanmoins, car il y a un «néanmoins», acceptons que l’affaire soit sérieuse. Partout en France, nous prenons la mesure d’une véritable libération de la parole xénophobe et nihiliste, manifestation compulsive de cette forme de désillusion sociale vis-à-vis du climat politique et de l’actualité. Exemple? Face à des événements historiques dont l’importance symbolique peut égaler la chute du mur de Berlin, l’effet des révolutions égyptienne et tunisienne alimente les discours nationalistes là où il devrait plutôt rendre crédible les surgissements populaires : «Toute chose qui est, si elle n’était, serait énormément improbable», disait Paul Valéry. L’atomisation sociale, la perte des repères et les situations d’inquiétude brisent les élans et renvoient les plus fragiles à leurs attaches identitaires mortifères… À ce propos. Que font et où sont les forces progressistes, seules capables d’apporter une clairvoyance analytique et rationnelle à la vague de fond démocratique? Ne doit-on pas s’étonner de l’absence de mobilisation internationaliste que la gauche instituée (sic) aurait dû apporter aux mouvements d’émancipation de la Méditerranée? Trop peu de meetings de soutien. Aucun défilé massif à Paris pour appuyer la cause des jeunesses révoltées. Pourquoi laisser le terrain libre aux propos de bistrot des commentateurs poujado-vichystes, comme Zemmour, condamné mais acclamé en réunion publique à l’UMP par tous les thuriféraires de Nicoléon et de hauts responsables de la nation qui, dorénavant, emploient les mêmes mots que ceux utilisés par les négationnistes contre la loi Gayssot? Pourquoi ne pas répliquer pied à pied à la propagande dévastatrice de l’UMP sur la phobie ultra-identitaire du raz-de-marée étranger – terreau de toutes les peurs sur lequel progresse le FN?
[BLOC-NOTES publié dans l'Humanité du 11 mars 2011.]
(A plus tard...)
3 commentaires:
C'est trés court mais tellement juste,je vais me permettre de te prendre cet article pour notre blog syndical; http://filpaccgtpapeteriederouen.unblog.fr/
Avec l'espoir qu'il soit lu et compris.
Merci à toi, fraternellement, Jean Bernard YON.
Formidable analyse, en effet. Devant certains événements, une certaine forme de pessimisme n'est pas une tare mais une qualité. Une grande qualité même. Au moins cela permet d'affuter ses arguments et de ne pas cesser le combat d'une manière ou d'une autre.
Bravo à toi, JED, pour la qualité de ton écriture et de tes analyses.
la médiocrité politique et la haine de l'étranger qui en est le trait principal ont toujours conduit partout et de tout temps sur cette planète hébergeant non pas des races (mot adapté pour le salon de l'agriculture mais certainement par pour l'Homme!....) mais la COMMUNAUTE DES HOMMES au fascisme...Nous sommes aujourd'hui au pied de ce mur (Berlin est tombé, mais il en subsiste d'autres malheureusement...) Il faut réagir très vite car les dictatures finissent mal comme en ce moment....merci JED,grâce à tes écrits une poignée d'irréductibles se sentent ENCORE PLUS FORTS (nous lutterons...)PAT
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