lundi 20 septembre 2010

Etat du monde : de quoi demain ?

«Nous ne sommes pas encore libres, nous avons seulement atteint la liberté d’être libre.» À la recherche d’une épitaphe qui symboliserait tous les espoirs placés dans ce XXIe siècle, les mots de Nelson Mandela viennent immédiatement à l’esprit – inutile d’en expliquer la raison. À l’heure où le monde réfléchit à son avenir sous l’égide de l’ONU, avec le bilan d’étape des Objectifs du millénaire pour le développement (OMD), comment se faire encore poètes mangeurs de lune alors que l’état actuel de l’humanité, qui, comme chacun le sait, n’existe point encore, nous recommande de dormir d’un sommeil léger ? La soif éperdue d’égalité, de justice et d’éradication de la faim dans le monde porte d’autant plus qu’elle fait cruellement défaut aux peuples de la terre…

Dix ans tout juste après que 189 États affichèrent leur volonté (sic) de réduire l’extrême pauvreté et les inégalités d’ici à 2015, est-il nécessaire de répondre à la question suivante : cette promesse solennelle a-t-elle été tenue ? Répliquons plutôt par ce que certains considéreront comme une provocation, mais qui, à bien des égards, vaut tous les discours : pour sauver une poignée de banquiers, les chefs d’État et de gouvernement de la planète ont réussi à trouver 3.000 milliards, alors qu’ils oublient depuis des années de payer le vingtième de cette somme pour sauver les pays pauvres de la famine, des pandémies et de la misère. À la faveur de la crise financière mondiale, c’est le masque du capitalisme qui est brutalement tombé… Car l’horreur est là, palpable : éradiquer la malnutrition ne coûterait «presque» rien comparé aux plans contre la crise… La FAO, qui compte 925 millions de malnutris, soit 90 millions de plus qu’avant les crises alimentaires des dernières périodes, ne demande que 22,2 milliards d’euros par an pour mettre fin durablement au problème. Moins de 3 milliards d’euros par an permettraient de traiter toutes les personnes touchées par la malnutrition aiguë sévère, dernier stade avant la mort. Vertige du monde réel...

Pendant ce temps-là, chacun sait que les populations qui souffrent de la faim continuent, en valeur absolue, à croître, et que la faiblesse des rémunérations maintient 20% de la population mondiale salariée sous le seuil de pauvreté. Quant au «partenariat» dit de développement, l’aide publique est inférieure à 0,3% du PIB mondial, sachant que l’actuel commerce mondial aggrave les inégalités… Depuis trente ans, les gains de productivité de l’économie ultralibéralisée vont massivement au capital, les prédateurs prennent tout, tandis que la croissance n’enrichit que marginalement les pays émergents.

L’ici-maintenant est un océan de disproportions. À quoi ressemblera l’entr’aperçu de notre à-venir ? Contrairement à un slogan à la mode, ce n’est pas la planète qu’il faut sauver, mais l’humanité! Comment accepter qu’un Terrien sur dix possède 80% des ressources mondiales, que 2% de l’humanité disposent de 50% des richesses, que la moitié des hommes n’en possèdent qu’un pour cent ? Les dirigeants de l’ONU devraient le savoir, rien n’est pire que le dévoiement d’une espérance. Alors, soyons sérieux. Aucun horizon ne sera redéfini sans qu’une nouvelle gouvernance mondiale – en somme une tout autre ONU – n’impose une vraie répartition des richesses à l’échelle globale. Faute de quoi nous lirons longtemps encore une autre phrase prophétique de Mandela : « Tant que la pauvreté persistera, il ne saurait y avoir de véritable liberté.»

[EDITORIAL publié dans l'Humanité du 20 septembre 2010.]

(A plus tard...)

3 commentaires:

Anonyme a dit…

Puisqu'il est impossible de laisser des commentaires sur le site de l'Humanité (quel bordel ce site!!!), je viens sur le blog de JED pour le remercier de son édito de ce matin sur la pauvreté dans le monde. Il a bien raison de mettre en rapport le fait que les banques ont été sauvées... mais que des populations entières peuvent crever la bouche ouverte. C'est la honte du capitalisme.
Ils ont sauvé les banques sous prétexte qu'on ne pouvait pas faire autrement et que c'était un "investissement" indispensable pour l'avenir du monde ? OK. Mais alors, sauver des vies humaines et aider au développement ne serait pas un investissement aussi important que de sauver l'économie des pays riches ? Tout cela donne la nausée...

DESGRANGE a dit…

Bonjour,
Il y a une chose que je ne comprend pas... Les états ont levé 3.000 milliards de dollars pour sauver les banques.
Est ce pour préter ou donner de l'argent aux institutions bancaires ?
Je suis nul en économie (je suis meilleur en cyclisme !) mais je ne comprend pas de quel droit les états peuvent donner de l'argent à des banques... C'est des subventions ? Ou une participation à leur capital...
HELP !
DESGRANGE

Jean-Emmanuel Ducoin a dit…

Bonjour à tous,
Pour répondre brièvement à la question posée par Desgrange, oui les Etats ont prêté massivement de l'argent aux banques avec, évidemment, des intérêts à la clef. A partir de ce postulat, nous connaissons donc le discours de base: ça rapporte aux Etats plus que ça ne leur a coûté. Mais c'est une mécanique en trompe-l'oeil. Car pendant de ce temps-là, les banques en question ont perçu de belles sommes des banques centrales (la BCE en Europe), tout un tas d'avantages aux montages compliqués, tout en cessant de faire leur métier durant des mois et des mois: elle n'ont plus prêter d'argent, par exemple au petites entreprises. Inutile ici de rappeler le nombre d'entreprises de petites tailles qui ont fermé leurs portes depuis le début de la crise - des milliers. Rappelons qu'on évalue le nombre de "nouveaux chômeurs" durant cette période (courte depuis le début de la crise) entre 700.000 et 950.000, selon les sources...
Enfin, un autre point important. Les Etats ont prêté de l'argent pour éviter asphyxie financière. C'était inévitable. Très bien. Mais c’était là une belle occasion – manquée – d’entrer dans le capital de ces banques pour imposer, enfin, une vraie réforme bancaire et surtout une autre gestion (taux de crédits, etc.), un autre mode de gouvernance. Cette occasion n’a pas été saisie, sauf un peu aux Etats-Unis où Obama n’a pas hésité à quasiment « nationaliser » (on dirait plutôt « socialiser ») certaines structures. Paradoxe des paradoxes : les Etats-Unis sont allés plus loin que la France…
A plus tard…