Photo. Avez-vous vu comme nous l’odieuse et implacable interprétation libre et furieuse d’une mise à mort peu conforme à l’idée que nous nous faisons du Droit en ce début de XXIe siècle? Qu’y voir d’autre, sinon la stricte réalité: celle d’un homme sans défense lynché par des barbares? Même les hurlements de joie, accompagnant les fragments d’un corps traîné à même le sol, avaient de quoi nous glacer l’âme. Qui filma ces images? Comment les médias se les sont-ils procuré? Certains ont-ils monnayé pour leur diffusion, ajoutant une valeur marchande à un document que l’histoire n’oubliera pas de sitôt? Sachez-le, non seulement nous ne pouvons répondre à toutes ces questions, mais, même à l’Humanité, un débat entre nous s’est engagé il y a quelques jours concernant une photographie publiée dans nos colonnes au lendemain de la mort de Kadhafi. Un gros plan un peu flou, celui du visage ensanglanté d’un ex-dictateur exhibé tel un trophée. Une photo «choquante» pour plusieurs de nos lecteurs, démonstration comme une autre de ce spectacle de sauvagerie auquel nous avons tous été confrontés. Le sanguinaire y devenait sanguinolent, forcément «humain». Etait-il seulement envisageable de ne pas publier cette image, preuve que le tueur venait d’être lâchement tué? Poser la question n’est pas une manière d’y répondre, mais verbalise une sincère interrogation…
Guerre. Le voilà donc le nouveau visage de la «Libye libre» surgissant d’une intervention de type néocolonial? La voilà donc la « future espérance démocratique », rétablissant charia et polygamie, aidée par la propagande mensongère des chefs d’État occidentaux, de l’ONU, de l’OTAN, de l’immense majorité des responsables politiques comme des dirigeants militaro-industriels, tous partisans des «guerres justes»? Ne cherchez pas pourquoi tous ces braves gens redoutaient tant une arrestation en «règle» et l’organisation d’un grand procès du tyran. Réduit au silence, comment juger un homme, ses pratiques, ses meurtres, comment comprendre l’ampleur de la compromission des occidentaux durant des décennies, comment analyser, comment en tirer les leçons? C’est toujours la même histoire. En notre nom (et de nos « valeurs de justice »), nous avons attaqué, bombardé et écrasé avec des pluies de missiles guidés la Bosnie serbe (1995), la Serbie (1999), l’Irak (1991 et 2003), l’Afghanistan (2001) et la Libye (2011). Les populations iraient mieux – et le monde avec. Quel bilan? Quel vertu «pédagogique», puisque personne ne rend des comptes, ni les «coupables», ni ceux qui les ont mis au banc des nations après avoir commercé avec eux, après les avoir armés? Milosevic? Mort dans sa prison. Saddam Hussein? Pendu sitôt arrêté. Ben Laden? Liquidé par les forces spéciales et largué en pleine mer. Kadhafi? Lynché par la foule et déjà inhumé dans le désert. Les tyrans et autres terroristes avaient manifestement des choses à dire. Mais les accusateurs n’avaient aucun intérêt à ce qu’elles soient dites.
Barbarie. Le saviez-vous? Jusqu’au XIXe siècle, la «barbarie» était le nom utilisé pour distinguer, entre autres, le littoral de la Libye. Depuis une semaine, l’expression surannée s’est en quelque sorte ré-territorialisée par la diffusion d’une ultime séquence vécue en mondovision, d’où ne ressort rien d’autre qu’une spectaculaire barbarie que certains s’obligent à désigner «d’un autre temps», mais qui, chacun l’ayant vue, reste très actuelle. L’acharnement des foules fanatisées n’a ni époque ni frontière. Et les tyrans n’en sont pas les seules «victimes».
[BLOC-NOTES publié dans l'Humanité du 28 octobre 2011.]
(A plus tard...)