Finkielkraut-Millet. Même les coquins font tout pour être heureux… Sans doute n’avez-vous pas écouté, samedi dernier, l’émission d’Alain Finkielkraut,
Répliques, sur France Culture. Voguant ce matin-là en covoiturage vers une destinée pré-funeste, inutile de vous dire que le bloc-noteur eut la nausée bien avant l’heure. Au micro de notre moraliste-maurrassien, deux écrivains. D’abord Jean-Claude Bailly, vite débordé, qui ne put jamais développer son idée de la France des couches de sédimentation de la conscience historique, exposée dans
le Dépaysement (Seuil). Face à lui, l’ogre réactionnaire de la littérature, Richard Millet, était là non pour le contredire, mais pour asséner sans nuance sa propre vision de la France, décadente et cosmopolite. Vous devinez? Alain Finkielkraut buvait du petit-lait. Il faut dire que Millet, avec la publication de
l’Opprobre (Gallimard), recueil-armé d’un écrivain en guerre – comme il le fut jadis lui-même dans les milices chrétiennes au Liban –, franchit une ligne blanche absolument odieuse. Au fil de ce texte, Millet reconnaît son obsession de la figure de l’ennemi, des ennemis, au point non pas d’essayer une réponse intellectuelle mais d’imposer une posture d’une rare brutalité, comme un sniper, au sens militaire du terme, pour exprimer la haine de
«l’immigré» et de la France réelle. Qu’on en juge:
«Quelle insanité ai-je proférée en constatant que ce pays n’est pas encore le Brésil ou Cuba mais une nation de race blanche avec des minorités étrangères ! Qu’une immigration chrétienne soit préférable à une immigration musulmane, voilà qui me paraît relever du bon sens, tout comme le fait que la France ne doive pas se renier elle-même pour maintenir la paix civile, menacée par ces minorités.» (p.85) Millet ne maintient plus seulement sa position. Il avance à découvert vers ce qu’il appelle
«la destruction de la culture», renvoyant les envahisseurs
«au ghetto» et déclarant vivre, lui, un
«apartheid mental»… Vous avez bien lu.
Nous imaginons sans peine le plaisir raclé jusqu’à l’os du sieur Finkielkraut à la lecture de ces pages abjectes. Lorsque l’écrivain Millet dit:
«Je suis en guerre», le philosophe l’aide à recharger son flingue et le couvre en invitant sur le service public l’auteur de ces mots:
«Dans ce wagon de métro qui m’emmène vers la banlieue nord de Paris, et où je suis le seul Blanc et, sans doute, le seul Français, je songe à cette expression sociologique en vigueur il y a une trentaine d’années, le seuil de tolérance à l’immigration.» (p.63) Nous sommes loin des banlieues et autres quartiers populaires laissés en friche par la République, loin de l’atomisation sociale et de la paupérisation, loin de la France des multitudes… L’appel
«aux forces armées dans les banlieues» fut évidemment montré en exemple comme preuve ultime de décrépitude finale. Sans parler du reste. Les prénoms aux
«accents» arabes ; l’équipe de France de foot si peu
«de souche» ; l’
«expiatoire fantasme de l’hybridation générale» ; le délaissement de la langue
«au profit de sa démocratisation utilitaire (…) pour ne pas désespérer les enfants d’immigrés» ; on en passe et des pires… Richard Millet, avant, c’était la Gloire des Pythre, Lauve le pur ou Ma vie parmi les ombres, des livres merveilleux que, jadis, nous avions encensés comme autant d’exaltations légitimes de ce bien précieux qu’est, effectivement, la langue française, sans savoir que ces textes admirables portaient déjà en eux un ultranationalisme des pires époques. Regrets éternels.
Onfray. Pendant ce temps-là (aucun rapport entre ce qui vient d’être écrit et ce qui suit, sauf peut-être une certaine colère face au temps qui est le nôtre), Michel Onfray poursuit sa percée médiacratique sans qu’on ne sache plus très bien où le conduiront ses objurgations successives. Après sa charge contre Freud, après l’éloge de Charlotte Corday, le philosophe hédoniste avec lequel nous n’avons pas pour habitude de polémiquer, s’est attaqué, il y a dix jours, dans les colonnes du Monde, à Jean-Paul Sartre. Un article et puis c’est tout. Un assassinat en quelques lignes. Michel Onfray exhume ainsi des phrases de l’inventeur de l’existentialisme, qui, arrachées à leur contexte, peuvent conduire sur de fausses pistes les lecteurs non informés de l’importance de Sartre dans son siècle. Le procédé laisse à désirer. Honnir Sartre sur la base de quelques engagements honorés à une époque où la philosophie prenait encore des risques avec le monde réel, de l’anticolonialisme aux portes des usines, voilà qui ne risque pas de choquer les bien-pensants de 2011 ! Dans son dernier livre,
Manifeste hédoniste (éd. Autrement), Michel Onfray va plus loin en suggérant la possibilité d’un
«capitalisme libertaire», d’une gestion
«libertaire du capitalisme», assurant, pour ceux qui n’auraient pas bien compris,
«ne pas être contre le capitalisme». Mais qu’arrive-t-il à l’inventeur génial de l’université populaire de Caen ?
[BLOC-NOTES publié dans l'Humanité du 17 juin 2011.]
(A plus tard...)