Dans la seizième étape, entre Carcassonne et Foix (178,5 km), victoire sous la fournaise du Québécois Hugo Houle (ISR). Pogacar a attaqué Vingegaard, en vain. Bardet a craqué.
Foix (Ariège), envoyé spécial.
Le chronicoeur sait depuis
toujours que le Tour reste une sorte de mystique monothéiste presque déifiée,
sinon religieuse par ses pratiques et ses disciples. Dans cette guerre de « mainmise »
que se livrent Tadej Pogacar et Jonas Vingegaard, sorte de « Münzer contre Luther » revisité dans le seul but de
poser une main souveraine et durable, l’art du récit effeuillé prit une
nouvelle saveur avec l’entrée dans les Pyrénées, théâtre annuel de tous les
horizons imaginables. Entre Carcassonne et Foix, de nouveau sous la
fournaise, après deux petites côtes dans la première heure propices aux
baroudeurs, le parcours se fortifia à partir de la vallée de Vicdessos
surplombée par le dôme du Montcalm, le premier « 3.000 mètres » de la
chaîne en partant de la Méditerranée. Une topographie
sublime et plutôt imaginative qui offrait, en ce premier des trois jours à
tournicoter chez la déesse Pyrène, un temple du feu rehaussé d’une vague caniculaire.
Dès le départ des 148 rescapés, un énorme groupe se
constitua avant d’éclater en plusieurs morceaux, desquels un éclaireur français
parvint à s’extraire, Alexis Gougeard. Nous comprîmes l’entreprise suicidaire,
même si, à l’arrière, le peloton des favoris ne se mêla pas de cette bagarre
secondaire. Confirmation par les faits. A 124 kilomètres du but, le rouleur tricolore
leva le pied et se laissa reprendre par les 28 contre-attaquants (parmi
lesquels Van Aert, Vlasov, Powless, Madouas, Teuns, Gallopin, Houle, Martinez, Woods,
Geschke, Izagirre, Bouet, Gilbert, etc.). Le groupe initialement en tête se
reforma en totalité, comptant alors plus de huit minutes d’avance. A cet
instant, nous n’avions les regards tournés que vers l’éventuel début de bataille
entre les cadors. Pensez-donc, avec le
franchissement de deux cols majeurs telle une fenêtre entr’ouverte sur les Pyrénées,
nous nous installâmes dans le stress des questionnements mû d’un réveil d’expérience.
Qu’en seraient-ils de nos rêves une fois confrontés à la réalité ? Le
vertige de la nature particulière du spectacle qui se déroulait sous nos yeux,
d’une candeur rafraîchissante, expliquait comme l’énoncé de toutes les
vicissitudes de la psyché humaine.
La veille, lors du repos à Carcassonne, Tadej Pogacar se montrait par exemple si revanchard en diable qu’il annonçait non une éventuelle tactique de course à venir, mais bel et bien la guerre totale : « Dans chaque bosse, j’attaquerai. Je vais tout donner. De près comme de loin, je vais tout essayer. Je ne veux avoir aucun regret. » Nous repensâmes à la formation du maillot jaune qui perdit, dimanche, Steven Kruijswijk (chute) et Primoz Roglic (blessé). Egalité parfaite entre les Jumbo et les UAE désormais, six de chaque côté. Ainsi voulions-nous tout savoir des uns et des autres, quand soudain, après une longue traversée sud-ouest vers l’Ariège, les pourcentages s’accentuèrent entre les mélèzes. Enfin débuta leur long monologue avec la dureté, par le Port de Lers (1re cat., 9,3 km à 7%). En retour de quoi, la nature environnante, les pentes et les cimes, se déterminaient dans et par la reconnaissance de ce qui constituait le Tour cette année : un lieu métaphysique. Et une petite réconciliation avec l’esprit. Le temps d’un égarement, et nous nous prîmes à espérer que les manières désinhibées de Pogacar, et de Vingegaard, dans une moindre mesure, permettraient aux foules, comme dans le Granon, de se réincarner dans la figure du Forçat, plus humain que robot, souffrant et courageux, redonnant parfois du sacré au sacré et propageant une utopie populaire d’anticonformisme.
Dans le Port de Lers, l’apoplexie survint. Premier écrémage partout, tant et tant, qu’aucun résumé ne serait fiable. A l’arrière, à deux bornes du sommet, Pogacar attaqua, une fois, puis deux fois, contraignant un Vingegaard mis sous tension à réagir, y compris dès le début de la descente. Elégiaque partie de manivelle. Puis ils entamèrent le terrifiant Mur de Péguère (9,3 km à 7,9%) et lorsque les vélos se cabrèrent, nous crûmes – un peu trop sans doute – aux envoûtements d’altitude. En cause, l’anormalité topographique de l’endroit. Si la première partie de l'ascension s’avéra très peu sélectives (5-6%), l'escalade vertigineuse de Péguère, quand la route emprunta le col des Caougnous, dura près de quatre kilomètres. La signification même d’un « mur » prit tout son sens : 12% de moyenne, avec des séquences à 18% ! Dès lors nous guettâmes le duel… qui, étrangement, n’arriva pas. Emmené par Rafal Majka, jusqu’à un bris de chaîne fatal pour ce dernier, Pogacar resta sagement dans la roue de Vingegaard, emmené par Seep Kuss à un train fou. Question sans réponse : pourquoi le Slovène ne réitéra-t-il pas ses tentatives de harcèlement ? Plus loin, Romain Bardet galéra, perdit contact définitivement et encaissa un débours de plus de 3’30’’. Fin d’espoir de podium. Quant à Gaudu et Thomas, ils revinrent dans la longue descente à tombeau ouvert de 27 kilomètres, souvent en faux-plat.
Parmi les premiers de cordée disséminés, le Québécois Hugo Houle (ISR), 31 ans, préserva sa courte avance acquise tout en-haut de Péguère, et empocha tout en-bas une victoire prestigieuse à Foix. Le chronicoeur songea aussitôt que la suite des Pyrénées devrait hâter sa désorientation. Deux arrivées par-delà les sommets, ce mercredi à Peyragudes, et jeudi à Hautacam. Déjà, nous entr’aperçûmes la nécessité de la contemplation mystique qu’aucun serment funeste ne parvient à anéantir.
[ARTICLE publié dans l'Humanité du 20 juillet 2022.]
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