République. Où étiez-vous il y a dix ans? Que faisiez-vous? Que pensiez-vous? Et où en êtes-vous aujourd’hui? Et que faites-vous? Et que pensez-vous? Le travail de la mémoire comme mise en abyme a parfois quelque chose de confondant quand il s’agit de regarder un bout de l’histoire de notre République. Une décennie après les révoltes de 2005, les quartiers populaires continuent de saigner à défaut de s’enflammer. Qui s’opposera à ce constat banal? Il y a dix ans, le bloc-noteur écrivait dans un éditorial de l’Humanité: «L’avenir de la République passera par les quartiers populaires ou ne passera pas.» Cette phrase –certes un peu ronflante– n’était finalement pas si déplacée que cela, du moins avait-elle le mérite de placer les événements à la hauteur de l’enjeu essentiel: notre à-venir commun. En 2005 comme en 2015, utilisons des mots identiques pour définir les mêmes maux: le feu couve sous la cendre. La violence sociale et les injustices ne se sont pas tues et ont progressé. Le chômage a explosé. La précarité continue de galoper. Les héritiers de l’immigration se sentent encore moins français, encore moins reconnus comme tels. L’atomisation du vivre-ensemble est toujours à l’œuvre sourdement. Quant aux sentiments d’humiliation et de relégation, qui avaient été en grande partie à la source de toutes les colères en 2005, ils sont plus forts que jamais.
Révolte: qu’attends-tu?
vendredi 30 octobre 2015
Révolte(s): humiliés, qu'attendez-vous?
Dix ans après, les quartiers populaires ont toujours la fonction du bouc émissaire…
jeudi 22 octobre 2015
Héroïque(s): le troisième homme
Peter Norman était le Blanc sans gant du podium des JO de 1968 à Mexico.
Iconique. Connaissez-vous Peter Norman? Vous l’avez forcément vu, au moins une fois dans votre vie: disons que vous l’avez vu sans le voir. Il était là, pourtant, dans l’angle mort d’une des photographies les plus célèbres de l’histoire, un point aveugle. C’était il y a quarante-sept ans, le 16 octobre 1968. Sur le podium des jeux Olympiques de Mexico, les officiels remettaient les médailles de la finale du 200 mètres. Deux Américains, deux athlètes noirs, vont réaliser l’un des gestes les plus inouïs qui se puissent imaginer à l’époque. Tommie Smith et John Carlos, médaillé d’or et de bronze, levèrent leurs poings, gantés de noir, pour protester contre la ségrégation raciale. Un vent d’insurrection universelle souffla sur le Stade aztèque, l’image iconique s’incrusta à jamais dans nos mémoires. Smith, nouveau recordman du monde, et son frère de couleur Carlos portaient un écusson «Project for Human Rights» (projet pour les droits de l’homme) sur le cœur et des chaussettes noires, le bas de leur survêtement relevé, leur visage aussi fermé qu’une porte de prison. Lorsque l’hymne américain retentit, les deux hommes dressèrent non seulement leur poing ganté vers les cieux mais inclinèrent également leur tête, fixant le sol pour ne pas avoir à regarder la bannière étoilée. Scandale aux États-Unis ; stupeur mondiale. Fin de l’histoire – du moins pour sa partie ultra-connue…
lundi 19 octobre 2015
Détonateur: à propos de la Conférence sociale...
Le gouvernement prend le risque de sectionner un peu plus l’union du populaire et du régalien.
Philippe Martinez. |
Exactitude(s): le philosophe de la peur
Le dernier livre d’Alain Finkielkraut: plus dangereux que jamais.
Aliénations. Une journée et deux soirées pleines et entières auront été nécessaires pour que le bloc-noteur vienne à bout du dernier livre publié par Alain Finkielkraut. Imaginez l’effort, près de 300 pages et un titre emprunté à Péguy –rien de moins– dont la démesure devrait éloigner tout philosophe qui se respecte: "la Seule Exactitude" (éditions Stock). Pas Finkielkraut. Ses angoisses et ses aliénations de l’époque méritent tous les écarts, fussent-ils déplacés dans le monde supposément des idées. À ses yeux, rien n’est trop beau pour qu’il puisse exprimer «la déprise de l’identité», la difficulté à «faire société», le «dépérissement scolaire», la menace de «l’islam», toujours «l’islam» et encore «l’islam», la hantise de la «modernité technique», l’antiracisme «compulsif» (sic), la «désintégration» de la société française, les «enfants de l’immigration ensauvagés» qui sont beaucoup moins obéissants qu’avant (quand ils étaient blancs et européens) et même, allons-y gaiement, certains aspects de nos libertés publiques… Finkielkraut porte l’inquiétude névrotique de tout, au nom de la préservation d’un espace français fantasmé.
Inégalités = pauvreté
La pauvreté gagne en intensité. Les plus pauvres sont de plus en plus pauvres. Et les plus riches, de plus en plus riches…
Entendez-vous cette petite musique médiatico-mondialisée? Depuis la dernière cession de l’ONU, où les puissants de la planète devaient tirer le bilan des fameux Objectifs du millénaire pour le développement (OMD), adoptés il y a quinze ans, «la pauvreté recule», nous dit-on à cor et à cri, et plus d’un milliard de personnes seraient sorties de «l’extrême pauvreté». Chacun sait que les critères choisis pour «entrer» ou «sortir» officiellement de la misère sont contestables. La mise en œuvre de ces « objectifs » a certes connu quelques «résultats» –preuve qu’un chemin est possible–, mais surtout d’indéniables échecs dans leur réalisation, notamment en raison de nombreux choix discriminants. Réjouissons-nous quand même? Non. Désolons-nous. Car ces statistiques n’effacent pas le reste – et ce reste continue de nous hanter. Chaque année, six millions d’êtres humains meurent de pauvreté, de malnutrition, de maladies. Une forme de crime contre l’humanité perpétuel que nous regardons passivement, au risque de sombrer dans l’habitude, voire dans une sorte de nihilisme désabusé qui attise la cruauté d’une réalité déjà insupportable. Car jamais le monde n’a produit autant de richesses, jamais ceux qui ont déjà tout n’ont accumulé autant de cash. Lisez bien ceci: 1% des plus riches possèdent plus que 99% de la population mondiale. La richesse comme la pauvreté restent, d’abord et avant tout, le miroir révoltant des inégalités !
jeudi 8 octobre 2015
Histoire(s): Régis Debray, notre mémorialiste
Le philosophe et médiologue nous met en garde: quand nous faisons le deuil de l’Histoire majuscule,
la politique
est délavée.
Défit. «Qu’est-ce qui vous arrive quand le mal d’Histoire vous prend? Rien. On attend. On ne se lasse pas d’attendre» (p.53). Il y a quelque chose de déchirant –sans forcément y voir une déchirure – dans le nouveau livre de Régis Debray, "Madame H.", publié aux éditions Gallimard. Madame H.: lisez Madame Histoire, avec la majuscule qui sied à son piédestal. Ou quand le philosophe et médiologue devient, plus que jamais, LE mémorialiste de notre temps, comme pour tenir à distance ce présentisme qu’il trouve barbare. Mélancolique, Régis Debray? Et alors? Et si les grands mélancoliques étaient les seuls, désormais, à créer du nouveau, en art comme en politique? Au fil de 160 pages taillées en diamant littéraire, l’écrivain nous met en garde: quand nous faisons le deuil de l’Histoire majuscule, la politique est délavée. Beaucoup y puiseront des raisons conservatrices. Mais nous aurions tort de croire à un revirement – honte à ceux qui le comparent déjà à Onfray! – autre qu’une forme de désenchantement, une sorte de rendez-vous manqué au soir d’une vie bien remplie, la révolution, le Che, Mitterrand, etc. Car Régis, malin et ironique, ne quitte pas l’affaire si vite. mercredi 7 octobre 2015
Soyons à contre-courant: oui aux 32 heures !
Que cela plaise ou non aux thuriféraires du libéralisme ambiant, qu’ils soient de droite ou de pseudo-gauche, le passage de 39 à 35 heures de travail hebdomadaires a permis de créer 350 000 emplois directs.
Dans le discernement du «grondement de la bataille sociale qui se mène de face», comme disait Pierre Bourdieu, il est des moments où les idées à contre-courant ont une valeur universelle et élèvent la démocratie. Il en est ainsi du débat, venu du fond des âges postindustriels, sur la réduction du temps de travail. Depuis quelques années, la simple évocation de ce sujet comme possibilité de repenser le monde du travail et son partage vous valait les anathèmes les plus violents. Vous étiez sitôt classés parmi les archéo-utopistes, taxés d’hérésie dans le monde performatif et compétitif qui est le nôtre… Seulement voilà, toutes les études récentes et sérieuses, comme celle conduite par la députée socialiste Barbara Romagnan, ont montré que la seule réforme qui a créé massivement de l’emploi en France depuis trente ans, c’est bien la réduction du temps de travail. Que cela plaise ou non aux thuriféraires du libéralisme ambiant, qu’ils soient de droite ou de pseudo-gauche, le passage de 39 à 35 heures de travail hebdomadaires a permis de créer 350.000 emplois directs.
dimanche 4 octobre 2015
Complicité(s): Madame Biraben, apprenez le sens du mot "vérité"!
Quand l’animatrice vedette du Grand Journal, Maïtena Biraben, que l’on classait jadis dans les bobos-chics-pseudo-rive-gauche, déclare tout de go que le Front nationaliste de Fifille-la-voilà est «le premier parti de France»...
Ad nauseam. Et maintenant, beaucoup disent tout haut ce que beaucoup pensent… tout haut! Vous croisez, dans le métro parisien, un homme chantant à haute et intelligible voix: «Maréchal, nous voilà», personne ne réagit, vous le sermonnez, il s’étonne de votre étonnement et continue comme si de rien n’était. Vous traversez les Champs-Élysées et vous entendez: «La France aux Français», vous vous retournez, prêt à réagir, et vous voyez un personnage de toute évidence défaillant mentalement hurler: «Toutes des putes!», en vous montrant du doigt des jeunes filles roms sur le trottoir, et vous êtes seul à l’apostropher. Le soir, vous vous installez sur votre canapé, vous mettez Canal Plus et l’animatrice vedette du Grand Journal, Maïtena Biraben, que l’on classait jadis dans les bobos-chics-pseudo-rive-gauche, déclare tout de go que le Front nationaliste de Fifille-la-voilà est «le premier parti de France». Vous vous étranglez dans votre verre de whisky et, à peine avez-vous repris vos esprits, que la présentatrice ajoute: «Les Français se reconnaissent dans le discours de vérité» tenu par le FN. Fin de journée. Bienvenue dans la France ad nauseam. Celle de cet ordre brun qui voudrait s’installer dans votre univers mental.
Pour Ali Mohammed
À l’heure même où s’écrivent ces lignes, la vie d’Ali Mohammed, en Arabie saoudite, est suspendue à un rien. Ce rien nous hante, il nous est insupportable.
Il y a des moments où nous devons accepter que certains hommes deviennent des symboles, parce que l’ignominie du sort qui leur est réservé a valeur universelle. Ainsi en est-il d’Ali Mohammed Al Nimr, désormais âgé de 20 ans, mais aux mains de ses tortionnaires de la monarchie théocratique saoudienne depuis l’âge de 17 ans. Son crime ? Avoir participé à une manifestation antigouvernementale, en 2012, dans la province chiite de Qatif. Que risque-t-il? D’être décapité, avant que son corps ne soit crucifié jusqu’à son pourrissement. En Arabie saoudite – comme dans l’espace occupé par
Daech –, la loi, issue de la Charia, prescrit en effet la crucifixion comme sanction possible pour des «cas graves» de sorcellerie, d’hérésie, d’injure à l’égard du prophète, mais également pour fait de révolte contre l’État, considéré autant comme un crime politique que religieux. Cette obscurantiste sentence a été prononcée, puis confirmée, et l’ultime appel définitivement rejeté. Cette mise à mort peut donc survenir à n’importe quel moment. À l’heure même où s’écrivent ces lignes, la vie d’Ali Mohammed est suspendue à un rien. Ce rien nous hante, il nous est insupportable.
Dérive(s): Michel Onfray, le philosophe de la déroute?
L’auteur du Traité d’athéologie dresse à demi-mot des passerelles avec les idées nationalistes, jusqu’à en légitimer certaines.
Irresponsabilité. Le pays de la polémique et de la dispute intellectuelles cheminerait-il, malgré lui, sur la voie étroite et mortifère de la souillure morale? La question, à la suite des agitations verbales de Michel Onfray et de quelques autres, mérite toute notre attention en tant que dépeçage de nos héritages – ce qui ne nous sied guère – et dissection de notre époque – ce qui s’avère utile. Nous n’écrirons pas, ici, que le créateur de l’université populaire de Caen prône l’apologie du Front nationaliste de Fifille-la-voilà et s’apprête à tourner sa casaque idéologique au point d’oublier sa qualité de philosophe libertaire qu’il revendique proudhonienne. Les faits nous enjoignent néanmoins à la contradiction. Quant aux mots, ses mots, ils peuvent nous laisser penser à une absence de maîtrise politique coupable, sinon à une dérive idéologique plus qu’inquiétante. Si Michel Onfray pense grosso modo que le FN défend la laïcité (alors que le FN préconise tout le contraire, l’ethnicisation d’une nation fantasmée), il vient, cette fois, de se ranger aux thèses de l’économiste Jacques Sapir, pour lequel les souverainistes de gauche et de droite, FN compris bien sûr, devraient s’unir pour mener la lutte contre l’euro et l’Europe. Qu’on en juge. «Sapir ne brouille pas les choses, il les éclaircit, déclare Onfray. L’idée est bonne de fédérer les souverainistes des deux bords. Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon partagent nombre de positions. Mais il faut s’adresser à un individu au-dessus des partis qui serait capable de fédérer.»