Eric Zemmour veut réhabiliter Pétain. Tout est dit.
La mécanique est huilée ; la dialectique, machiavélique, se veut savante ; le propos reste ordurier et insupportable. Voici le résumé en trois phrases du dernier livre d’Éric Zemmour, le "Suicide français" (Albin Michel), phénomène d’édition qui surclasse désormais dans les ventes tout ce qui s’est publié depuis la rentrée littéraire, les textes d’Emmanuel Carrère (magnifique) et de Valérie Trierweiler (digne d’intérêt) compris, c’est dire si l’éventail livresque est large. Quatre soirées d’intense lecture pour que le bloc-noteur vienne à bout des 530 pages et que s’impose une conclusion évidente. Porté par des vents crépusculaires qu’il sent favorables, le polémiste Zemmour a l’ambition qui enfle, il voudrait devenir le Maurras contemporain, mais il n’est qu’un Pauwels en peau de lapin fripé par l’air du temps qui pue la xénophobie et la revanche poujado-nationaliste. Il ne le cache pas : «Maurras exalta jadis les quarante rois qui ont fait la France ; il nous faut désormais conter les quarante années qui ont défait la France. »
Et après cette contraction d’histrion dont il a le secret, il ajoute qu’il aimerait «déconstruire les déconstructeurs», ces «héritiers bourdieusiens» qui auraient engendré des monstres de la pensée: des «inhéritiers camusiens». Pathétique démonstration. Voyez-vous, Éric Zemmour a deux ennemis de classe privilégiés : les soixante-huitards et les féministes (enfin surtout les femmes en vérité). L’âme profonde de la nation serait ainsi attaquée, réduite à néant, par l’inconséquence mortifère des exaltés de 68, qui ont privilégié «la jouissance hédoniste pour enterrer l’héroïsme chevaleresque» de ce que de Gaulle avait construit. Sous la plume de l’essayiste, le raccourci scandaleux donne ceci: «La propagande consumériste mina la culture traditionnelle du patriarcat ; les publicitaires, sociologues, psychologues s’allièrent aux femmes et aux enfants contre les pères qui contenaient leurs pulsions consommatrices.» Il dédit bien sûr le livre à son père, loue les «hommes retrempés dans une virile vertu spartiate», refuse ce qu’il appelle la «domination émolliente des femmes» et regrette que «ces vagues de féminisation et d’universalisme postchrétien» puissent briser «les digues d’une France encore patriarcale, reposant sur l’imperium du père, à la maison comme à la tête de l’État». Vous avez bien lu. La France tombe, se suicide: la faute au matriarcat galopant et à la perte progressive du pouvoir des hommes dans l’orgie apolitique de l’après-68. On croit rêver.
Mais le pire est à venir. Outre qu’il raconte absolument n’importe quoi sur l’immigration ou les mariages mixtes, ses errements historiographiques le conduisent à évoquer, dans un chapitre hallucinant qui mériterait procès, le rôle de Pétain dans la déportation des juifs. Dénonçant la «doxa édifiée» qui repose sur «la malfaisance absolue du régime de Vichy», Zemmour exalte au contraire la figure de Pétain, qu’il dit sauveur de «juifs français» (vous avez compris l’odieuse nuance), et pointe «l’efficacité de l’échange juifs français contre juifs étrangers, voulu et obtenu par Vichy». Pétain en héros, sauveur de juifs: n’en jetez plus! D’ultraréactionnaire et hyperconservateur, le voici nu à son vrai visage, plus collabo de l’extrême droite que jamais, pré-fascisant en somme, à moins que le pré n’ait déjà été franchi d’un pas allègre et assumé. «La France se meurt, la France est morte», écrit-il à la toute fin de sa logorrhée, évoquant «les dernières pages de l’Histoire de France», avec le H majuscule qui sied à sa grandeur déchue. Voilà, c’était le petit manuel du petit homme au service d’une France étriquée et fantasmée, destinée à faire peur. Que le minable Zemmour le sache : l’histoire, notre histoire, celle des citoyens de France, va se poursuivre. Avec ou sans lui d’ailleurs. Pour que le suicide intellectuel – le sien ! – serve au moins à quelque chose.
[BLOC-NOTES publié dans l'Humanité du 17 octobre 2014.]
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire