dimanche 11 septembre 2011

À la découverte du philosophe Karl Marx, ou l’éblouissement d’un jeune homme...

Voici la critique d'un de mes nouveaux livres (celui sur Marx), par Charles Silvestre, publiée dans l'Humanité du 9 septembre 2011.

Par CHARLES SILVESTRE
À dix-sept ans, Karl Marx mène une double vie. À Trèves où il est né, il court la nuit les tavernes, boit et se bat. Il étudie le jour, lit l’hébreu, apprend des poèmes, se plonge dans la philosophie, analyse déjà le conflit entre déterminations «idéales» et «matérielles». Il résumera: «Le devoir, le sacrifice de soi, le bien-être de l’humanité, le souci de notre propre perfection»… À dix-sept ans, Jean-Emmanuel Ducoin part à la découverte de Marx. Il vient d’un «haut lieu scolaire», celui des jésuites qui «tenaient eux aussi le guichet de l’avenir, servaient des vers au comptoir de la poésie, ouvraient la porte aux émancipations». À la maison, il y a l’Humanité, le journal du «vieux parti du paternel et du grand père qui était encore une maison commune». Jean-Emmanuel se plonge dans Marx pour ne pas devenir une victime de plus de la génération Mitterrand, celle du renoncement à la promesse de changer la vie. Et là, c’est l’éblouissement!


Cette histoire de jeunes hommes, le second ressourçant son esprit critique dans le génie au travail du premier, est la trame passionnante du livre de Jean-Emmanuel Ducoin, rédacteur en chef de l’Humanité. Singularité du croisement : pour l’auteur, instruit par les pères jésuites, la première découverte est celle de la profondeur de la critique de la religion. «Ce sont les hommes qui ont créé dieu à leur image», dit Marx. Chez son lecteur, l’ébranlement idéologique est «considérable», mais va bien plus loin qu’une poussée d’athéisme. Car l’illusion religieuse «âme d’un monde sans cœur» a des racines sociales, elle repose sur l’organisation de la production matérielle. C’est donc celle-ci qu’il faut changer plutôt que de persécuter la croyance… L’autre choc est dans la lecture du Capital. De ce livre qu’il n’avait fait que parcourir, Jean-Emmanuel Ducoin écrit: «Je ne l’ai vaincu – en termes de compréhension globale – qu’en 1988 durant la campagne présidentielle» quand l’Humanité était devenue «mon quotidien, mon pouls, ma raison d’être». Voici donc le Capital avalé comme le Galibier, et la métaphore ne surprendra guère ceux qui suivent chaque été ce suiveur du Tour. Car on peut aussi lire ce livre sur Marx comme une grande course à étapes, bourrée de cols à escalader, des secrets de la plus-value à la mise à jour de la «révolte des forces productives contre les rapports de production»…

Nouveau sommet: le Manifeste du Parti communiste de 1848, rédigé avec Engels. Qui débute par sa célèbre formule: «Un spectre hante l’Europe, le spectre du communisme.» Ducoin se livre à son sujet à une véritable enquête sur les mots, leur contexte et leur postérité. Où l’on voit que les «nuances» dont il se recommande – il se veut marxien – peuvent venir aussi des auteurs eux-mêmes : «Nous ne nous présentons pas au monde en doctrinaires avec un principe nouveau : voici la vérité…» Le grand mérite du livre est d’être ainsi une traversée de Marx, alerte, largement accessible, œuvre et vie mêlées, jusqu’aux pages bouleversantes sur la fin d’un homme poursuivant un rêve inouï pour l’humanité et poursuivi lui-même par une insigne pauvreté.

(À la rencontre de… Karl Marx, de Jean-Emmanuel Ducoin, avec une préface de Gérard Mordillat. Editions Oxus Littérature, 150 pages, 15 euros.)

1 commentaire:

  1. Je n'ai pas encore lu ce livre faute de temps (je suis à la recherche non du temps perdu mais gagné...) mais cette si belle préface m'incite à en trouver...et la date de publication de cette critique - le 11 septembre - est symbolique du choc des cultures politiques : ces tours du capital pulvérisées face au rêve marxiste... (frontière entre rêve et utopie?...) tout cela ne témoigne-t-il pas de l'impuissance de l'homme à concrétiser une forme de vie politique adaptée (le capitalimse n'est certainement pas la solution, dixit ce qui se passe actuellement) à ce qu'il est vraiment? faudrait-il encore qu'il comprenne ce qu'il est vraiment!....et là....à l'impossible il est tenu...car là, pour moi, est la solution...PAT

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