mardi 5 juillet 2011

Tour : quand Alberto Contador cherche sa madeleine de Juillet…

Après trois étapes, les mésaventures du triple vainqueur Alberto Contador occupent les esprits de tous les suiveurs. Le temps qu’il a déjà concédé témoigne-t-il d’une faiblesse ?

Depuis Redon (Ille-et-Vilaine).
Le Tour ? S’il était un cadeau chaque année redistribué aux foules, il aurait toujours un parfum de merveilleux. Vous savez, un merveilleux doux et mélancolique, dès la première bouchée, une madeleine de Juillet exaltant les vertus cardinales de la géographie et de l’effort... Le Tour ? S’il était une belle contrainte chaque été recommencé, il aurait parfois – souvent – un goût d’irrationnel. Vous savez, de cet irrationnel qui dépasse ses propres acteurs et leur octroie, de temps à autre, lorsque les circonstances le décident, un sentiment de toute-puissance et pour tout dire un supplément d’âme leur conférant une grandeur presque surnaturelle et une sagesse quasi philosophique…

C’est curieux comme Alberto Contador, depuis le départ en Vendée, nous instruit sans le vouloir sur la psychologie du Tour et les chemins qu’il faut emprunter pour en percer certains mystères. Il y a tout juste deux ans, ses rapports délétères avec l’Américain Lance Armstrong, lorsqu’ils se disputaient le leadership, avaient marqué l’histoire récente de l’épreuve et la sienne au passage, en l’entraînant bien malgré lui dans un théâtre d’ombres et d’intrigues, une tragédie post-moderne transposée au sein de l’équipe Astana que le Texan, au crépuscule de sa force, avait annexé sans fard sous le regard goguenard de tous ses affiliés. Souvenons-nous : en trois semaines d’une cohabitation dont plus d’un seraient ressortis rincés et laminés, l’Espagnol avait tout simplement puisé dans cette hostilité démoniaque une volonté insoupçonnée et un surcroît de caractère qui avait forcé le respect… Il y a un an, fragile physiquement, fébrile et visiblement contraint à un rôle de « calculateur » peu en rapport avec son tempérament originel, il n’avait trouvé son salut pour venir à bout d’Andy Schleck que dans sa capacité à gérer les grands moments de tension, lui-même maître d’oeuvre en domination mentale. Un saut de chaîne, beaucoup de cran et de sang-froid avaient suffi à assurer son triomphe. Et à rehausser son statut...
Cette année, tout change – et rien ne change ? En un week-end et beaucoup de dégâts, la tranquillité apparente de l’Espagnol s’est transformée en sauve-qui-peut et en 1’38’’ de passif sur Andy Schleck... Où l’on reparle, donc, de ce goût d’irrationnelle presque surnaturel qui s’abat périodiquement sur le Tour. Même le « rationaliste » Cyrille Guimard s’interroge. Bien qu’il refuse de croire en une sorte de « justice immanente que le Tour rendrait sur sa route, comme pour clarifier les controverses qui l’entourent » (1), l’ancien directeur sportif de Hinault et de Fignon se place résolument en configuration « exception Tour de France », accordant à l’épreuve une valeur supérieure disposant d’un environnement oppressant quelquefois difficile à supporter. « Le Tour, ce n'est pas le Giro. Il a une telle histoire, un tel impact sur le destin d'un champion qu'il finit par révéler ses faiblesses, ses fêlures, ses carences. » Et Guimard, à propos de la péripétie de course ayant retardé Contador vers l’arrivée au Mont des Alouettes, précise sa pensée : « Qui sait si cet incident n'a pas rouvert chez lui des plaies mal cicatrisées ? En tout cas, il m'a paru déconnecté et comme désabusé. Maintenant, soit il se remet à flot, soit il ne finira pas le Tour. »

Qu’on se le dise, Cyrille Guimard ne parle jamais au hasard des champions d’exception. Ce qu’il suggère doit dès lors nous alerter. A la tête d’une formation Saxo Bank bien pauvre en talents individuels, Contador semble avoir donné de la confiance à ses adversaires. Mais que dit-il exactement sur son propre cas ? « Mes rivaux sont devant moi et je ne suis peut-être plus le grand favori pour le classement général », ose-t-il, comme s’il voulait bénéficier de cet affaiblissement supposé, s’en parer, l’utiliser comme une protection. Avant d’ajouter : « Il reste les étapes les plus importantes dans lesquelles peuvent se faire de grandes différences. Le Tour de France c’est comme ça : on peut le perdre tous les jours mais il se gagne en montagne. Jeter l’éponge sera la dernière chose que je ferai. Aujourd’hui il n’y a pas une seule raison de le faire. »

Hier, le chronicoeur se voulait songeur. Entre Olonne-sur-Mer, où l’on distinguait au loin la Pointe de l’Aiguille inondé de soleil marin, et l’arrivée à Redon, après une chevauchée plein Nord et un enjambement majestueux du pont de Saint-Nazaire, les coursiers ont vogué vers la Bretagne avec une seule idée en tête : un sprint massif. L’Américain Tyler Farrar (Garmin), jour anniversaire de la Déclaration d’indépendance, remporte la timbale et sa première victoire d’étape à l’issue d’un assaut final à haute tension… Au fond, le peloton a-t-il le temps, pour l’instant, de se préoccuper du dessein tellurique auquel Contador devra s’attaquer tôt ou tard ? Et pourtant, s’il était une offrande, le Tour aurait cette année une saveur de madeleine de Juillet. Celle que cherche Contador.

(1)Guimard était interrogé en ces termes, hier matin, par notre confrère de l’Equipe, Philippe Brunel.
[ARTICLE publié dans l'Humanité du 5 juillet 2011.]

(A plus tard...)

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