mercredi 6 juillet 2011

Le peuple du Tour n’a pas encore fait le Mûr...

Malgré la pluie, les Bretons ont assisté en masse à la 4e étape, avec l’arrivée au sommet de Mûr-de-Bretagne.
Depuis Mûr-de-Bretagne (Côtes-d’Armor).
Le cyclisme tient les annales des caractères humains. Rien d’étonnant. Usiner collectivement quelque chose qui tient du sacré n’est pas donné à tout le monde. Le vélo s’y complait, en tant qu’il continue de produire des champions taillés à la démesure du monde qu’ils doivent assaillir. Alors une fois n’est pas coutume, soyons pieux. Car pour pénétrer dans la principale sacristie du vélo, à savoir la Bretagne, il faut du pierreux, du massif, du sévèrement costaud, bref, du monumental au moins et beaucoup de fidélité, pour le meilleur et pour le pire.
Demandez le meilleur à Cadel Evans. Lui visait le maillot jaune. Mais au sommet de Mûr-de-Bretagne, après une ascension de 2 kilomètres (6,9% de moyenne), l’Australien se contenta d’une victoire d’étape de prestige. Un prestige dû aux lieux immémoriaux et à la foule venue en masse, mais également aux circonstances sportives de cette montée enfiévrée. Lorsque l’Espagnol Alberto Contador, au plus rude de la pente, plaça une première accélération en tête du peloton des favoris, nous vîmes en effet ce à quoi nous nous attendions, avec néanmoins ce soupçon d’étonnement qui nous surprend encore. Avec son lourd passif au classement général, que cherchait le triple vainqueur ? Se rappeler au bon souvenir des suiveurs ? Récupérer une poignée de secondes sur Andy Schleck, huit très exactement ? Tonifier un moral que l’on dit défaillant ? Quérir une « simple » victoire d’étape? Au moins Cadel Evans régla la question. Tout en puissance, avec ce style anguleux quoique robustement agencé, aux limites de l’hyper-musculeux, il empêcha in-extremis Contador de venir le déborder. Le public venait de recevoir le cadeau mérité d’un spectacle joué entre seigneurs...

Aux bordures d’un monde révolu où la préservation du cyclisme, comme espace menacé, s’essaie encore au renouveau dans la floraison d’un cycle à repenser, nous avons vu hier encore ce que le peuple du Tour pouvait imposer comme passion généreuse ! Mille éclats grisonnants d’un Juillet assiégé, c’était bien elle, généreuse et fière : la Bretagne. En antidote du doute. Version fraîcheur d’âme. Pourtant balayés par les vents et les grains, il fallait les voir ces Bretons encapuchonnés, courageux en diable à chaque croisements de départementales, à chaque petites montées, à chaque embrasures d’Histoire, avec cette ferveur phénoménale et rugueuse pour tout bagage, dernière trace d’un monde prêt à l’enfouissement. Quand l’épar appuie, immergeons ne serait-ce qu’un instant notre plume dans l’encre bleue douce marine des arts collectifs. Avec ses humeurs pluvieuses, stylo pointé vers l’horizon, silhouette légère, le chroniqueur était sûr, dès Lorient au petit matin, qu’il basculerait vraiment dans « son » Tour à la faveur d’une traversée bretonnante, entre mer et vallées. Et lorsqu’il vit les cinq échappées du jour s’enhardir dès le neuvième kilomètre (Erviti, Hoogerland, Izaguirre Insausti, et les Français Kadri et Roy), il ne put que frémir devant cette foule les acclamant jusqu’à les manger du regard comme de vulgaires quatre-quarts.

L’effort des baroudeurs, dévorés à quatre kilomètres du but, était vain mais sympathique. La veille, vers Redon, Jérémy Roy (FDJ) avait avoué sa passivité, reconnaissant avoir « parlé bricolage » avec un collègue de pédalée, « une vraie discussion de machine à café». Changement de décor, hier, et de rythme. L’adoration locale au vélo réclamait une autre attitude. Roy devait s’y résoudre : « Pas sûr que vers Mûr j'aie le temps de lâcher un mot dans le final. Et puis, il y a aura tellement de monde qu’il faut savourer ces moments-là… » Bien vu. Ce fut tonitruant, héroïquement populaire… Admirables familles des bords de routes, arc-boutées à leur passion. Merveilleux gens de peu, aux sentiments si vastes qu’ils nous distinguent d’émotion. Preuve, cette banderole sur laquelle nous pûmes lire ces mots d’excellence : « Même sans espoir, l’audace est encore un espoir. »

Toute création vient de ses eaux et s’y détrempe, croit-on par ici. Et lorsque ce peuple-roi sorti du néant de la terre se dresse, jamais avare d’adorations authentiques, mêlant tradition et prospection, il apprécie à sa juste valeur l’offrande d’un spectacle sincère dans lequel il peut s’incarner. Faire corps. Partager. Et enfin se réinventer le goût d’une passion passablement délavée. Alors hier, un instant, juste un instant, le chronicoeur rincé jusqu’aux os a longuement regardé les nuages lourds pour y quémander sa part de puissance romanesque et littéraire. Déchirant le rideau de pluie, à perdre souffle, il a dépisté dans son souvenir quelques phrases de l’écrivain Jean-Noël Blanc : « Le Tour introduit ses acteurs dans un univers grandiose, mythifié. On n’y parle que de géants et de légende. Autrement dit d’hommes comme vous et moi. D’hommes ordinaires. » (1) Le peuple du Tour connaît le juste reflet de sa légende. Le cyclisme tient pour lui les annales des caractères humains…

(1) La Légende des cycles, Éditions Quorum, 1996. Réédition aux éditions Le Castor astral en 2003.

[ARTICLE publié dans l'Humanité du 6 juillet 2011.]

(A plus tard...)

2 commentaires:

  1. Un vrai plaisir de lecture. Merci pour ce bonheur des mots et merci surtout de mettre vos articles sur votre blog, car trouver l'huma chaque jour devient une mission impossible.
    Vive le vélo.

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  2. Je trouve le Tour très ennuyeux pour l'instant. Vivement que la montagne arrive et que Contador montre ce qu'il a - ou non - dans le ventre.
    Merci à JED pour ses articles.

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