Depuis Les Essarts (Vendée).
Le Tour peut-il rajeunir ceux qui l’aiment ? Pour viser haut et regarder au-delà de l’horizon, ce n’est pas un rêve de grandeur qu’il convient d’éprouver à l’heure où tout semble se déglinguer, mais bien un songe d’immensité. Pour parler de vaillance, de folie voire d’épopée, il va désormais falloir qu’Alberto Contador laisse des cadavres sous ses roues et que le monde s’incline sous les assauts d’un supplément d’orgueil dépassant de loin tout ce que, à ce jour, il a pu démontrer. Telle est la grande – et belle – première leçon du Tour : les héros, les vrais, ne connaissent qu’une solution pour se tirer d’un mauvais pas. Ecraser tôt ou tard la course et arracher de force si besoin l’admiration du public…
Voilà donc le dessein titanesque auquel devra s’attaquer l’Espagnol, après deux jours d’un enfer vendéen que rien ne laissait présager. Qu’y avait-il de commun ce week-end entre le Passage du Gois, sublime bande de terre prise entre ciel et mer transformée, samedi, en lieu symbolique du Grand Départ de cette 98e Grande Boucle, et l’utra-sophistication d’un exercice de stylistes que seul le cyclisme impose périodiquement, à savoir le contre-la-montre par équipes, disputé hier aux Essarts, en plein cœur des plaines chouannes balayées par une brise d’ouest ? Le trait d’union entre ces deux moments particuliers porte un nom, un seul nom : Alberto Contador. Un nom qui n’a pas fini de hanter le Tour… Sifflé par une foule amère lors de la présentation des équipes, jeudi soir au Puy-du-Fou, le tenant du titre et triple vainqueur de l’épreuve a débuté sa quête 2011 de la pire manière, samedi, à quelques kilomètres de l’arrivée au Mont des Alouettes.
Ce fut là, pourtant, l’un de ces grands moments de confusion comme on en voit peu au règne du high-tec à tous les échelons de la course. Les spectateurs – et le chronicoeur par la même occasion – virent Andy Schleck (Leopard-Trek) et Alberto Contador (Saxo Bank) franchir la ligne d'arrivée ensemble, 1’20’’ après le Belge Philippe Gilbert, vainqueur sur les modestes sommets des hauts bocages du cru, à l’abri des moulins à vent. Mais ce n’était qu’un trompe-l'oeil. Après le stress euphorisant d’une fin d’étape mouvementée par une gigantesque chute dans la première partie du peloton, d’où ne sortirent que soixante-dix-sept rescapés, il fallut attendre les classements officiels pour s’apercevoir que le Luxembourgeois était bel et bien classé 33e à 6'' du maillot jaune. Contrairement à l’Espagnol, 82e à 1'20''… Explication. Les deux prétendants à la victoire suprême furent tous les deux arrêtés par des chutes collectives dans le final, mais leur timing fit la différence : pris dans une embardée seulement dans les trois derniers kilomètres, le leader des Leopard fut crédité du même chrono que le groupe dans lequel il figurait au moment de la chute. Le cyclisme a l’art des règlements.
Au soir de la première étape, soixante-quatorze secondes séparaient déjà les deux grands rivaux. Auxquelles il faudrait ajouter 24 secondes, récupérées hier encore par Schleck à l’issue de l’exercice par équipes (remporté par Garmin-Cervelo, maillot jaune pour Thor Hushovd). Qui aurait imaginé semblable scénario, sachant que les duettistes se disputèrent le maillot jaune à coup de secondes l’an dernier ? Andy Schleck, goguenard, ne put s’empêcher de commenter ce miraculeux coup du sort : «On savait qu'une étape comme ça, ce serait hyper nerveux. Dans les 25 derniers kilomètres, j'ai toujours roulé dans les dix premiers. J'ai vu qu'il n'y avait pas tout le peloton et Contador n'a pas été le seul piégé. Le Tour, ce n'est pas toujours à la pédale. Il faut aussi la tête et rouler devant.» Contador, lui, refusa de parler à la presse mais, signe des temps, laissa filtrer un message sur son compte Twitter: «C'est dur, car c'est tellement compliqué de gagner la moindre seconde. » Avant d’ajouter, en philosophe de l’action : « Vouloir, c’est pouvoir.»
C’est beau, un coureur annonçant du bruit et de la fureur derrière la fatalité des faits. Comme l’écrit l’ami Paul Fournel : «La divine solitude du cycliste est peuplée d’ombres que le soleil étire sur le grain des routes.» L’écrivain a raison. Il ne faut jamais prendre à la légère ce qui se situe à l’abri de la lumière des évidences… L’évidence nous dit que Contador, avec 1’38’’ de retard sur Schleck, a d’ores et déjà hypothéqué son Tour. Mais que nous disent les ombres que le soleil étire ? Que Contador ne peut plus jouer la montre et devra conquérir un peu plus que l’ordinaire… Ne nous plaignons, pour une fois les aspects «sportifs» nous détournent de l’envers du décor (1). Au fond le Tour n’est que récit. Et si les récits reproduisent la vie, n’ont-ils pas la vertu de rajeunir ceux qui les honorent ?
(1) Vendredi, un bus de la Quick Step – celui de l’équipe belge de l’ancien adepte de la cocaïne Tom Boonen – a été fouillé de fonds en comble par les gendarmes. En vain.
[ARTICLE publié dans l'Humanité du 4 juillet 2011.]
(A plus tard...)
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