Poser encore la question aujourd'hui, alors que le projet a vu le jour, en dit long sur le petit miracle vécu par Mordillat et toute son équipe. Puisque l’occasion nous est donnée, saluons le courage de Jean Bigot, l’ancien directeur de la fiction à France 2, poussé depuis vers la sortie, grâce auquel cette série de huit épisodes sera diffusée dès ce soir sur France Télévisions. Certains héritages sont plus vivants que d’autres… Car les téléspectateurs doivent le savoir. Ceux qui se retrouveront devant leurs écrans, en prime time (!), vont ressentir un choc télévisuel comme on en voit peu en Sarkozye – et comme on en verra peu d’ici à 2012. À l’heure où l’action publique est profanée, où tous les faire-croire gisent au sol sous les assauts de l’atomisation sociale, les Vivants et les Morts nous raconte une histoire hélas ordinaire. Celle d’une usine et de ses ouvriers dont des lointains groupes financiers ont décidé de se débarrasser après en avoir pillé les actifs, au nom de la sainte rentabilité. La vie telle qu’elle est nous explose alors à la figure. Dans le détail. Jusque dans l’intimité des foyers des salariés, tandis qu’ils iront au bout pour défendre leur emploi. Et leur dignité.
Si la crise économique mondiale nous paraît hors-sol, la misère sociale, elle, a des racines si profondes qu’elles broient les hommes palpitants et hurlants. Cette série majuscule redonne des visages et une âme aux victimes de l’horreur sociale : le pays de Jaurès et d’Hugo dit «merci». Les néocapitalistes aimeraient nous faire croire que la réalité économique est un paysage complexe aux mécanismes financiers trop sophistiqués pour s’en mêler, que la responsabilité des puissants s’évanouit dans une sorte d’opacité légitime… Cette illusion masque en vérité le caractère impitoyable des relations sociales, le cynisme anonyme des détenteurs du capital, la déshumanisation à laquelle sont soumis des salariés rendus vulnérables par la précarisation…
Nul ne connaît l’heure ni le lieu, le dernier pont à franchir, l’ultime poing à dresser. Les «morts» abdiquent car ils croient en l’inéluctabilité du monde qu’on veut nous imposer. Les «vivants», eux, ne renoncent jamais, parce que la résistance et la lutte ont une valeur en soi, une valeur suprême qui dépasse le périmètre d’une usine. Sans manichéisme, Mordillat nous parle d’une colère éthique à la hauteur des enjeux de civilisation du XXIe siècle. Car le capitalisme, qu’il soit «financier» ou «paternaliste», n’est pas un conte de fées, il violente et met à nu. Alors, en plein mouvement social, tandis que toutes les luttes actuelles cherchent des points de convergence indispensables pour renverser la table, inutile de préciser que toutes les comparaisons avec l’actualité sont les bienvenues. Et puisque la fiction télévisuelle prend rarement le pouls du monde du travail, osons ce conseil pour le moins singulier : tous ensemble devant la télé !
[EDITORIAL publié dans l'Humanité du 6 octobre 2010.]
(A plus tard...)
C'est la dignité de l'Humanité de rendre quotidiennement la dignité aux travailleurs. Merci à Mordillat pour cette série, que nous allons dévorer du regard après avoir lu, en son temps, son livre si combattif et si émouvant.
RépondreSupprimerL'Humanité s'est honorée ce matin en faisait la "une" avec ce sujet !!! BRAVO (et merci à JED pour ses combats multiples)
Bravo et merci en effet à l'Huma et à Ducoin (on sait l'amitié qu'il porte à Mordillat, cela s'est vu dimanche dernier lorsqu'il l'interviewait aux Amis de l'Huma), j'ai donc regardé hier soir les 3 premiers épisodes des Vivants et les Morts : je suis enchanté par cette série, c'est même mieux que ce que j'imaginais.
RépondreSupprimerVive la sociale !