jeudi 7 octobre 2010

Conseil de lecture : quand les entreprises françaises construisaient la politique défensive du IIIe Reich...

Le Mur de l’Atlantique, monument de la Collaboration, de Jérôme Prieur. Éditions Denoël, 218 pages, 18 euros.

Plongée dans l’histoire, plus justement, dans la face cachée de l’histoire. Celle de la construction du mur de l’Atlantique. Collier de bunkers, de blockhaus, de batteries qui ont habillé les côtes françaises de Dunkerque à Biarritz, et qui, aujourd’hui encore, sont les haillons de la France occupée, le mur de béton armé cache des secrets que Jérôme Prieur, historien, écrivain et cinéaste, a tenté de percer. Le mur de l’Atlantique est visible, ostentatoire, il continue d’insulter la beauté des plages et des arrière-pays, et pourtant, il fascine.

1942. Hitler, embourbé sur le front Est et redoutant à tout moment une attaque maritime des troupes alliées, décide la construction d’une «muraille» Atlantique. L’Europe de l’Ouest doit devenir une forteresse. Les travaux sont colossaux. Des millions de mètres cubes de béton armé sont nécessaires à l’édification du mur. Des milliers d’ouvriers aussi, de machines, de bétonnières, de grues… Chapeautée par la terrifiante Organisation Todt, dirigée par le petit bras du Führer, Albert Speer, la construction du mur va être le théâtre de ce que Jérôme Prieur qualifie de «plus importante et plus compromettante opération de collaboration économique sous l’Occupation». Voilà donc le secret du mur de l’Atlantique. Si l’on sait qui a accouché du concept, l’histoire en a (sciemment ?) mis de côté les sages-femmes. Qui a construit ce mur ? Et si le titre du livre de Jérôme Prieur est éloquent, le Mur de l’Atlantique, monument de la collaboration, l’étude qu’il renferme est saisissante.

Ultradocumentée, référencée, son analyse éclaire ce que l’histoire a laissé à l’ombre de l’oubli. Coup de projecteur sur cette France de la collaboration d’affaires, sur ces entreprises de construction qui n’ont pas su, pas voulu, pas pu, résister au chant des sirènes de la Todt et de ses contrats juteux. «À l’échelle européenne, il est très difficile d’évaluer le nombre de personnes qui ont travaillé pour l’Organisation Todt. Selon les estimations, les chiffres iraient de 1,5 million à 2 millions pour toute l’Europe.» Tous n’étaient pas allemands. La France devient la sous-traitance du IIIe Reich, et Vichy multiplie les lois et les décrets forçant la collaboration. Primes, salaires, avantages en nature, la Todt «bétonne» sa position, Vichy lèche les bottes allemandes, les entreprises françaises mangent à leur faim. Un équilibre subtil sur lequel repose l’immense chantier, renforcé par une main-d’œuvre forcée (juive notamment), une main-d’œuvre semi-forcée, qui a trouvé dans la construction du mur le moyen d’échapper au Service du travail obligatoire, une main-d’œuvre «libre», collaboratrice. Pourtant, ce qui devait être infranchissable s’écroule enfin, le 6 juin 1944. «L’opération Overlord rend le mur presque dérisoire», écrit Jérôme Prieur, qui, en 220 pages, contribue à faire tomber le voile opaque qui recouvre l’histoire des milliers d’igloos de béton échoués sur nos plages.
[Avec Marion d’Allard]

(A plus tard...)

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