mardi 13 juillet 2010

Tour : Schleck et Contador déclenchent l’imprévisible apocalypse…

Depuis Saint-Jean-de-Maurienne (Savoie).
Et soudain, une forme d’apocalypse. De ces apocalypses sportives d’autant plus imprévisibles que rien, absolument rien ne l’avait annoncée… Expliquons-nous. Depuis tôt le matin, au volant de la voiture de l’Huma, le suiveur placé juste devant le peloton trépignait d’impatience. Il voulait qu’une bataille épique débute, qu’il puisse s’y glisser, se faire peur dans les virages, dans les descentes, bref qu'il assiste à un théâtre alpestre digne de ce nom... Mais dans la moiteur des cimes enflammées par une chaleur infernale, plus la journée avançait moins nous y croyions. En escamotant quatre des cinq difficultés du jour entre Morzine-Avoriaz et Saint-Jean-de-Maurienne, les principaux leaders donnèrent d’abord tous les signes d’une temporisation assumée. Nous piaffions d’impatience, prêt à filer en salle de presse pour assister, confortablement devant les écrans de télé, à l’inéluctable scenario pré-écrit...

Et puis le col de La Madeleine glissa ses pourcentages sous les roues des échappés d’abord (Cunego, Sanchez, Moreau, Casar, Charteau, etc.), du gros de la troupe ensuite. Nous y voilà. La Madeleine, c’est 25 kilomètres d’une ascension à plus de 6% de moyenne au fil d’un chemin si exigu qu’à chaque lacet la foule manque de s’y faire dépecer par les véhicules hurlants. Là-haut, quasiment à 2000 mètres, l’air se raréfie. Seuls les aigles y planent encore. Andy Schleck est de ceux-là. Contador aussi. Pas Cadel Evans.

Il était 15h30. A quelques minutes derrière les échappés, le peloton roulait plutôt au train. Pas grand-chose ne crépitait sur Radio-Tour et il fallut se convaincre que les propos de Schleck, lors de la journée de repos, ressemblaient à une feuille de route. Toujours deuxième du général à ce moment précis de la journée, le Luxembourgeois, que l’on sait pourtant dans «la forme de sa vie» puisqu’il le clame sur tous les tons, répétait qu’il voulait s’en tenir à un «plan» élaboré à long terme: ne prendre le maillot jaune que dans les Pyrénées. Ce « plan » ne prévoyait sûrement pas ce qui allait suivre. Et nous réjouir.

Alors que nous nous dirigions tout droit vers une ascension elle-aussi dégagée de toutes tentatives épiques, tandis que les équipiers d'Astana et de Saxo Bank menaient un rythme plutôt banal, le maillot jaune Cadel Evans (BMC) se retrouva subitement en fin du groupe de tête. Visage blême. Souffle court. Corps en perdition sous le roulis de sa propre déchéance. Comme un déclic d'une rare brutalité. Et pour cause… Personne ne le savait, mais, à trop jouer des coudes pour venir se mêler à la lutte pour le Tour, le champion du monde se l’est brisé. Voilà comment, en l’espace de trois jours, un homme troque un maillot arc en ciel contre un habit de lumière, puis contre une atèle... conséquences d’une chute stupide après seulement sept kilomètres de course, dimanche, sur la route de Morzine.

Les larmes voilaient donc le visage d’un coureur qui, depuis le matin, essayait de se voiler la face et de tenter un gros coup de bluff en cachant à tous sa fracture du coude, même, semble-t-il à ses coéquipiers. «La chute a eu plus de conséquences que prévu. On a voulu faire une sorte de poker menteur en essayant de jouer serré devant, en roulant au train, en annonçant clairement qu’on voulait garder le maillot jaune. Cadel avait beaucoup de mal à tenir le guidon, c’est pour ça qu’il est parti s’échauffer ce matin discrètement avant le départ, notamment en descente et puis la Madeleine a été trop dur pour lui », expliquait son mentor, le patron de l’équipe BMC, John Lelangue.

Tout se joua en un rien de temps. Emmené d’abord par son équipier Javi Navarro, Alberto Contador (Astana) accéléra la danse macabre de quelques coups de rein. Seul Schleck (Saxo Bank) put y répondre. Et voilà. En un éclair, à dix kilomètres du sommet de La Madeleine (dix kilomètres à peine!), le Tour 2010 bascula dans le mano à mano attendu: Schleck-Contador. Eux seuls. Et rien qu’eux. Car derrière, tout devint donc cataclysmique. Des paquets de coureurs éparpillés. Et surtout, Cadel Evans en déroute totale, presque du niveau de celle d’Armstrong dimanche vers Avoriaz: plus de 8 minutes de passif à l’arrivée. Fin des espérances...

Bénéficiant de ces circonstances imprévues, ce qui en dit long sur ses capacités, Andy Schleck tenta de lâcher Contador. A plusieurs reprises. Sans succès. Les deux hommes brûlèrent le bitume, temporisèrent un instant pour discuter (mais de quoi?), puis se décidèrent finalement à une collaboration logique (pour l'heure). Adieu Evans. Et près de 3 minutes dans la musette pour Armstrong et Basso, et tant d'autres... Quant à Menchov, Gesink, Leipheimer et surtout Samuel Sanchez, tous désormais dans les dix premiers, les voilà officiellement en position d’outsiders: mais qui y croient vraiment? Au général, Schleck-en-jaune compte dorénavant 41 secondes d’avance sur Contador… mais déjà près de 3 minutes sur ces «outsiders», qui, à n’en pas douter, assisteront impuissants au triomphe du Luxembourgeois ou de l’Espagnol à la sortie des Pyrénées…

Quand même. Dans les rues de Saint-Jean-de-Maurienne, miraculeusement épargné par le retour du duo infernal, c'est le Français Sandy Casar (FdJ) qui s’adjugea le sprint d’une petite troupe de sept hommes. Eternel second, Casar venait de signer là l’un des plus beaux succès de sa carrière. Hélas pour lui, le suiveur essoufflé ne retiendra de cette étape qu’une page pour la grande Histoire, l’une des plus belles que le sport cycliste puisse nous offrir périodiquement. Vous savez, quand on n’attend plus rien de quelque-chose… et que tout arrive pourtant.

(A plus tard…)

1 commentaire:

  1. Superbe article. Mais c'est vrai que c'était beau à voir. Et puis, cette fois-ci, pas de "faux grimpeur" transformé on ne sait pas trop comment, du genre Hincapie, Wiggins, Armstrong, Riis, etc.

    L'histoire du cyclisme nous enseigne qu'un bon grimpeur est déjà un bon grimpeur à 20 ans. Et Willy Voet le confirmait, dans son bouquin ou il détaillait les pratiques de dopage: "Jusqu'à l'EPO, on ne pouvait pas transformer un rouleur ou un "gros cul" en bon grimpeur. Avec l'EPO, c'était devenu possible.."

    Je remarque que les meilleurs coureurs actuels, lorsque ça grimpe, ont à peu prés tous le même gabarit. Assez grands ( + ou - 1m 80 ), des longues jambes qui leur donnent de la puissance, des poids légers, entre 60 et 65kg: Andy Schleck, Contador, Gesink, Kreuziger, Menchov, Samuel Sanchez ont une morphologie assez semblable, non ?? Ce fameux rapport poids-puissance qui fait la différence ??

    Il y a un français qui dispose de ce même gabarit, de cette même morphologie: Romain Sicard. Il faudra le suivre, celui-là.

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