J’ai toujours aimé les passions tristes. Et j’adulais trop le cyclisme depuis l’enfance pour ne pas savoir, ne serait-ce que par intuition, que ces histoires d’hommes héroïques, derrière cette sensibilité imaginée, cachaient leur part d’ombre.
De tout temps on se dopait, on achetait des courses, on mutualisait les coups tordus avec la complicité de tous. Et au sommet de la hiérarchie, quelques dirigeants, pour la plupart d’anciens champions, mettaient de l’huile dans la marmite pour que la cuisson soit bien répartie, avant partage.
Chacun recevait son compte. Les leaders gagnaient, les grégarios travaillaient et les équipes offraient à leurs sponsors quelque chose de bien supérieure aux temps d’antenne indispensables, quelque chose d’incalculable : un supplément d’âme, une reconnaissance symbolique, un surcroît d’identification. Au vrai, une raison d’être qui se passait de définition.
En effet, aimer le champion cycliste, c’est s’aimer soi-même, quelle que soit sa condition sociale ou morale. Le grand public ne se trompe jamais. Sur la route du Tour, il applaudit et acclame les premiers comme les derniers, sans distinction. Et dans les cols, les coureurs à la dérive, largués par les meilleurs, continuent de nous tirer des larmes d’émotion.
Quand elles sont clairement définissables, les vraies passions n’ont pas de hiérarchie. Ni patrie.
En 1989, la magie du Tour était si forte encore que, dans ma grande naïveté, je croyais sincèrement vivre le début d’une aventure qui durerait toute la vie. Comment pouvait-il en être autrement ? Immuable depuis 1903, grand et grandiloquent, mythique et mystique, le Tour, pour moi, ne pouvait se concevoir autrement que dans un temps long, immensément long, à l’image de ces repas de famille de mon enfance qui s’étiraient du midi au soir avec pour seules pauses des arrêts pipi, un jeu de carte ou une discussion politique enflammée, et puis, grand-mère et tantes au fourneau, on remettait ça sans même s’apercevoir qu’on avait remis ça, mais en se disant « mince, on a remis ça ».
Le Tour, c’était pareil. Début juillet ça commençait, mais fin juillet ça ne s’arrêtait pas vraiment. Quant au reste de l’année, il était partagé en deux : fin d’été/début de l’automne on pensait encore à son dernier Tour ; et dès novembre, avec la présentation officielle du nouveau tracé, on repérait les lieux, les hôtels-restaurants où il faudrait nécessairement faire escale, les villes-étapes inédites, les cols à découvrir, les étapes décisives.
Je suis de cette école-là : pourquoi alors utiliser l’imparfait, source de renoncement, comme si l’histoire s’écrivait déjà au passé ?
A plus tard...
"Début juillet ça commençait, mais fin juillet ça ne s’arrêtait pas vraiment. Quant au reste de l’année, il était partagé en deux : fin d’été/début de l’automne on pensait encore à son dernier Tour" : c'est drôle, il s'agit mot pour mot de l'état d'esprit de l'adolescent rêveur que j'étais... Mais la suite change : le reste de l'année, toute mon attention se portait sur le foot et, malgré un intermède pour Paris-Roubaix, le cyclisme reprenait le dessus à l'occasion des championnats de France. Dès lors, j'étais "à fond" jusqu'à la fin de saison...
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