vendredi 15 juillet 2022

Pedersen encore vert à Saint-Etienne

Dans la treizième étape, entre Le Bourg d’Oisans et Saint-Etienne (192,6 km), victoire du Danois Mads Pedersen (Trek), 26 ans. L’échappée du jour est allée au bout. Aucun changement au général.

Sur la route du Tour.

Depuis la vallée de la Romanche aux escarpements rocheux, dévalée à belle allure dès le kilomètres zéro afin de former la «bonne échappée», quelques spectateurs de cordées iséroises contemplèrent le serpentin multicolore s’éloigner des Alpes pour virer plein ouest. Sortir de la très haute montagne eut une saveur particulière et le chronicoeur, déjà orphelin des jours oniriques (avant les Pyrénées, mardi prochain), se rappela malgré tout que le Tour, dans sa folie onomastique, réservait aux 158 rescapés une nouvelle visitation à la Roland Barthes, lequel confirmait dans ses Mythologies que cette épreuve unique au monde «pratique communément une énergétique des esprits» et qu’elle était «à la fois un mythe d’expression et un mythe de projection, réaliste et utopique tout en même temps». Par une chaleur caniculaire, le retour dans la plaine, au grand bonheur des sprinteurs, se déroula sans Warren Barguil (Arkea-Samsic), testé positif au Covid-19, sixième coureur à quitter la course pour cette raison depuis le départ au Danemark. Victime d’une lourde chute la veille, dans la descente du col du Télégraphe, il souffrait de la hanche et de l’épaule mais avait annoncé qu’il serait «bien au départ». La loterie du virus en décida autrement. A neuf jours de Paris, le « pile ou face » du peloton, chaque matin recommencé, n’a pas encore livré tous ses mystères…

Entre Le Bourg d’Oisans et Saint-Etienne (192,6 km), le profil évitait la plupart des reliefs, sauf trois côtes mineures, à l'exception notable du col de Parménie, un obstacle classé en deuxième catégorie (5,1 km à 6,6%), tremplin idéal pour baroudeurs mais placé à plus de 110 kilomètres du but. Rien à voir avec l’arrivée dans la ville «verte», en 2019, quand le peloton avait suivi les chemins des croix et de souffrances installées sur les différents sommets de la Loire. Ce jour-là, Julian Alaphilippe avait récupéré le paletot jaune après quelques attaques mémorables en compagnie de Thibaut Pinot et du Belge Thomas De Geindt.

Au cœur de l’après-midi, les échappés voguaient enfin, ils étaient sept (Jorgenson, Houle, Kung, Wright, Simmons, Ganna et Pedersen), et nous crûmes un instant que les équipes de rouleurs avaient lâché l’affaire. La suite nous prouva que non. Chaque chose en son temps. Profitant de la torpeur (jusqu’à 38 degrés), nous repensâmes ce que nous vécûmes durant deux journées en enfer, entre le Granon décisif le mercredi, et l’Alpe d’Huez instructive le lendemain. La défaillance – sans doute passagère – du Slovène Tadej Pogacar nous parut si extraordinaire et inattendue qu’il fallait encore se pincer pour y croire, au terme d’un scénario dantesque qui restera dans annales de l’épreuve. Le harcèlement des Jumbo et la puissance de finisseur du Danois Jonas Vingegaard renversèrent magistralement le Tour, et partant, beaucoup pensèrent, peut-être prématurément, que la suite des événements en seraient la reproduction à l’identique. Sauf que, dans l’Alpe, le double tenant du titre confirma ses intentions: à l’abordage, quoi qu’il en coûte.

Nous vîmes ainsi Pogacar secouer le maillot jaune à deux reprises dans les vingt-et-un lacets, confirmation que son «jour sans» était bien derrière lui. A un détail près : le Slovène, qui compte plus de deux minutes de retard au général, eut un avant-goût du défit qui l’attendait pour décramponner le nouveau leader. Car Vingegaard ne céda rien, pas le moindre mètre. Sauf coup de Trafalgar d’ici les cols pyrénéens, Pogacar connaît l’ampleur de la tâche pour inverser la tendance. Il faudra une dinguerie absolue, préméditée et réussie, pas seulement deux arrivées au sommet (Peyragudes et Hautacam) et l’ultime contre-la-montre de quarante bornes (Rocamadour). Pour mémoire, Pogacar n’avait grappillé que d’infimes secondes à Vingegaard jusque-là: 8 dans le chrono de Copenhague, 13 sur les pavés à Arenberg. La différence totale de 39 secondes entre les deux hommes, avant que le Danois ne l’écartèle à 2’22’’ dans le Granon, ne fut constituée que par la récolte de bonifications, à Longwy, à La Planche des Belles-Filles et à Lausanne. Pogacar confessa: «Lorsque j’ai essayé d’attaquer dans l’Alpe, Jonas n’a jamais contre-attaqué, cela m’aurait permis de répondre à mon tour. Mais il m’a simplement suivi, et je n’étais pas assez fort pour le lâcher.»

De quoi réfléchir sur les capacités de Vingegaard cette année. Sa gestion de ses débuts en jaune, jeudi, s’avéra même un modèle du genre. Au point de raconter, en conférence de presse, qu’il échangea quelques mots avec Pogacar, juste après la première attaque de ce dernier: «On s’est parlé, j’ai juste vu qu’il me souriait et je lui ai souri en retour, c’est tout. J’ai beaucoup de respect pour lui, je pense que c’est réciproque. Tadej est déjà l’un des meilleurs coureurs de tous les temps, comment ne pas le respecter?» Et il ajouta: «Il était très fort aujourd’hui. Mais mois aussi.» Paroles de nouveau patron du peloton, non?

Mais revenons à la course, sachant que le chronicoeur ne mentira pas. Difficile de s’enthousiasmer après la visitation des cimes, d’autant que le scénario sur ce parcours transitoire semblait écrit par procuration. Signalons que l’un des favoris du jour, le sprinteur Caleb Ewan, chuta à 72 kilomètres de Saint-Etienne, alors même que son équipe Lotto menait la chasse derrière les échappés. Engagé dans une folle chasse pour revenir, l'Australien de 28 ans (vainqueur de 5 étapes en 2019 et 2020) renonça finalement à toute velléité, loin du peloton, ce qui chamboula l’agencement de la bagarre finale. Pour mémoire, l'an passé, le sprinteur de poche (1,67 m) avait dû abandonner à cause d'une chute dès le troisième jour. Et cette saison, il chuta également dans la première semaine du Giro, qu'il quitta sans le moindre bouquet.

Débarrassés des Lotto, les six fuyards rescapés (exit Simmons) prirent un peu de marge, lorsque les BikeExchange de Matthews et Froenewegen, à trente-cinq bornes de la ligne, relancèrent la bataille. Elle fut éprouvante d’abord, évidente ensuite. Les évadés s’entendirent à merveille et gagnèrent par KO. Dans les rue de la ville du Forez, après un emballage tout en puissance à trois (exit Jorgenson, Kung et Ganna), le Danois Mads Pedersen (Trek), 26 ans, remporta sa première victoire de prestige et se joua aisément de Houle et Wright. Sur ce Tour, un Danois en cache toujours un autre…

Le chronicoeur, toujours en Vert et contre tous – ceux qui ne comprennent pas la passion du «chaudron», malgré la relégation –, jeta un œil amouraché sur le mythique stade Geoffroy-Guichard aux souvenirs brûlants. Puis il découvrit, six minutes plus tard, le visage souriant du maillot franchir la ligne tranquillement, avec le gros de la troupe. Pas de doute. Jonas Vingegaard affichait désormais un bloc de sérénité, digne d’une vie éveillée de réussite et de tempérament assumé au-delà de l’ordinaire. Habituons-nous.

[ARTICLE publié sur Humanite.fr, 15 juillet 2022.]

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