Dans la dix-neuvième étape, entre Castelnau-Magnoac et Cahors (188,3 km), victoire du Français Christophe Laporte (Jumbo), première victoire cette année d’un tricolore.
Cahors (Lot), envoyé spécial.
Il fallut au chronicoeur beaucoup d’imagination, et de filiations historiques dues à la trajectoire référencée du rendez-vous de Juillet, pour redescendre des cimes pyrénéennes en cherchant motivation et inspiration sportive, au lendemain d’une épopée de légende et le sacre annoncé du Danois Jonas Vingegaard – au terme d’un « cyclisme total » une nouvelle fois en extension. Après les heures dantesques de la haute montagne, ainsi vogua le Tour, par un vendredi chafouin, entre Castelnau-Magnoac et Cahors, lors d’une remontée assez prononcée vers le nord. Même le climat modifia sa trajectoire, oscillant entre bruine et ciel si gris que nous nous crûmes brutalement projetés dans des frimas pré-automnaux. Brutale transition post-caniculaire. Mais pas le temps de mollir, comme le suggérait jadis Antoine Blondin : « Le Tour de France, c'est la fête et les jambes. Une épreuve de surface qui plonge ses racines dans les grandes profondeurs. Il arpente la géographie mais sa propre histoire le porte. »
Il restait 139 rescapés au départ de cette étape a priori
taillée pour les sprinteurs, sachant que l’Espagnol Enric Mas, alors 11e au classement général, avait au matin quitté le peloton après un test positif au Covid-19, ce qui portait à seize le nombre de coureurs qui durent abandonner en raison du coronavirus. Ils
partirent à pleine vitesse de
Castelnau-Magnoac (Hautes-Pyrénées), le village natal du demi de mêlée et capitaine du
XV de France, Antoine Dupont, et l’échappée de cinq courageux (Honoré, Mohoric, Politt, Van der Hoorn et Simmons) fut rapidement « validée » par le gros de la troupe, qui mûrissait déjà son scénario : maintenir « l’élastique », sans qu’il ne casse. Preuve,
jamais nos éclaireurs ne prirent plus de deux minutes d’avance, autant dire pas de quoi imaginer un destin de
vainqueur à Cahors – même si
la course fut une nouvelle fois interrompue, puis neutralisée quelques minutes, par des militants « climat » de Dernière rénovation.
Pour
notre part, nous repensions encore aux propos du grand vaincu de cette 109e édition, Tadej Pogacar, qui admit jeudi soir la supériorité du Danois comme
de son équipe vers
Hautacam : « Jumbo-Visma a fait un
travail parfait sur ce Tour de France, déclara-t-il. Je leur tire mon chapeau. Et aujourd'hui, le meilleur a
gagné, Jonas était plus fort que moi. » Et il
ajouta, grand seigneur : « Je
ne pouvais pas avoir une plus belle manière de perdre
le Tour de France. J'ai tout donné, en pensant au classement général, et je
pourrai quitter la course sans regrets. J'ai commencé à attaquer au maximum dans l'avant-dernière
ascension (Spandelles), je pensais qu'il me restait
encore des forces pour la dernière montée. J'ai voulu attaquer dans la descente
mais je suis allé un peu trop loin et je suis tombé. Cette chute m'a coûté de
l'énergie. J'ai essayé de suivre les Jumbo-Visma jusqu'au bout, mais ils étaient trop forts. Je n'ai que du respect pour Jonas Vingegaard et je pense
qu'on se respecte mutuellement. »
Quant à
Jonas Vingegaard, avec cette curieuse impression de créer un
style sous l’égide de la domination passive, il revint lui aussi sur sa
performance dans l’ultime col de ce Tour : « Dans la dernière montée, on m'a
dit à l'oreillette que Tadej était au point de rupture. C'est à ce moment-là
que Wout (van Aert) a tout donné et lâché Tadej. J'ai alors vraiment pris
confiance pour la victoire d'étape. A ce stade-là,
j'étais moi aussi à la limite. Mais quand nous avons creusé un écart, ensuite
ça a été beaucoup mieux. » Et il précisa :
« Après le col du Granon, c'est un nouvel exemple qui montre la force de l'équipe. Le meilleur coureur du monde,
Wout van Aert, m'aide à gagner le Tour, il a ses propres ambitions pour le
maillot vert, elles ne sont pas incompatibles avec le maillot jaune. » L’hommage
à Van Aert parut de bonne politique, au sein d’une formation qui vise la gagne – depuis toujours et par tous les moyens – sur tous
les terrains et tous les tableaux. Le « couteau-suisse »
Van Aert expliqua ainsi son comportement d’attaquant perpétuel :
« J’ai besoin d’avoir un espoir de remporter des étapes et je pense que je
suis plus fort pour aider l’équipe avec cette possibilité plutôt
que d’être un simple
équipier pendant trois semaines. Cela me permet de mieux aider les autres. » S’il n’y prend garde, l’année prochaine, il visera tous les maillots distinctif – sauf celui
du « meilleur jeune », bien sûr, eu égard à ses 27 ans…
Nous en
étions là, au cœur d’un après-midi moutonné de nuages de plomb, quand, à
plus de 120 bornes du but, très loin de l’échéance donc, nos échappés furent déjà en vue du peloton… avant qu’ils ne reprennent un
peu de champ à la faveur d’un temps mort, à l’exception de Politt, qui se
releva. Nos Forçats venaient de traverser la
petite ville de Fleurance, elle-aussi haut-lieu
du
cyclisme puisqu’elle accueillit la Grande Boucle à sept reprises
entre 1973 et 1983, dont deux fois pour le prologue de la course, l’équivalent du Grand Départ, en 1977 (Dietrich Thurau) et en
1979 (Gerrie Knetemann). En apercevant aux avant-postes David Gaudu,
entouré de ses équipiers de la FDJ-Groupama (dont l’épatant Valentin Madouas), nous pensâmes à son
admirable troisième semaine.
Encore performant vers Hautacam, le leader désigné (à la place
de Thibaut Pinot) était en passe de terminer quatrième au général, la
meilleure performance d'un Français depuis 2017. Si le grimpeur breton ne remplira l'ambitieux objectif initial, celui d'accrocher une place sur le
podium
(Géraint Thomas possède trop d’avance), il aura réussi son Tour grâce à des
prestations de haute volée dans les Pyrénées derrière l'infernal duo Vingegaard-Pogacar, courant intelligemment et refusant de suivre les deux
meilleurs lorsqu'ils mettaient le turbo, pour gérer sa course à son rythme et
mieux revenir sur la fin des cols. « J'aurais signé pour une
quatrième place au début du Tour, certains font la fine bouche, mais on ne se rend pas compte
de l'intensité de l'effort pour faire quatrième, je
suis fier de cette place, d’autant que le niveau ne cesse d’augmenter », insista-t-il jeudi soir.
Mais
revenons à nos tribulations du jour, alors que la course traversait le Gers et le Tarn-et-Garonne,
en passant par la bastide médiévale de Lauzerte avant d'entrer dans le Lot par
le village de Montcuq-en-Quercy-Blanc. Profitant de deux petites difficultés (4e
cat.), Simmons s’isola par l’avant. En vain, évidemment. Il fut avalé à trente kilomètre de l’arrivée, laissant le long ballet
des équipes de sprinteurs
prendre le relais, bien qu’elles durent gérer plusieurs
attaques en mode baroudeurs, particulièrement celle de Wright, Stuyven et Gougeard, sur les légers toboggans topographiques du final. Les Alpecin, Quick-Step, Total, BikeExchange, Lotto ou Treck bataillèrent à la dure jusqu’à
la résolution de l’équation in extremis,
dans l’ultime kilomètre. Nous eûmes bien un sorte de sprint – plusieurs étant passés par la
fenêtre – adjugé en faux plat sur une pente de 5-6 %, près des rives du Lot. Et qui
sortit du lot ? Non pas le maillot vert Van Aert, qui relâcha son effort, mais son
équipier Christophe Laporte, qui profita d’une désorganisation monumentale. Le Français s’extirpa et préserva une courte avance sur Philipsen et Dainese. Triomphe
total des Jumbo (5e victoire d’étape).
Et une première pour un Tricolore cette année, à quarante-huit heures de Paris.
Ce samedi, pour la première fois depuis des lustres, le contre-la-montre de 40,7 kilomètres dans le Lot n’aura qu’un intérêt relatif, puisque le podium comme les places « d’honneur » semblent figés. Le profil reliera Lacapelle-Marival à Rocamadour, l'un des grands sites touristiques de la région qui marque aussi une halte sur le chemin des pélerins de Saint-Jacques-de-Compostelle. « En soi, le parcours n'est pas extrêmement difficile. Il est plutôt roulant, les routes sont assez sinueuses et techniques », estime le directeur de course Thierry Gouvenou. Tout comme Lacapelle-Marival, Rocamadour accueillera l’épreuve pour la première fois de son histoire. Là encore, il conviendra de convoquer beaucoup de valeurs suprêmes pour vibrer avant les Champs-Elysées, et se dire, malgré tout, que nos Géants de la Route participent jusqu’au bout à « une fable unique où les impostures traditionnelles se mêlent à des formes d’intérêt positif », comme l’écrivait Roland Barthes.
[ARTICLE publié sur Humanite.fr, 22 juillet 2022.]
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