vendredi 1 juillet 2022

Apologie(s)

La patrie des Droits de l'homme face au RN...

Civilisation. Quelque chose d’anormal dans un océan de «normalité» aussi écœurant qu’inquiétant. Depuis le second tour des législatives, tellement de digues ont sauté avec l’extrême droite que nous ne savons plus bien si la fameuse «banalisation» s’arrêtera – ou non – aux portes d’une certaine idée de la République, qui n’est pourtant pas négociable. Après des jours et des jours d’atermoiements et de batailles parlementaires surréalistes, le bloc-noteur a sur le cœur une forme de ressentiment, sinon d’incompréhension. Dieu merci, nous ne sommes pas les seuls à nous interroger avec gravité. Cette semaine, sous la plume de Françoise Fressoz, le journal le Monde expliquait ainsi clairement: «Le 21 avril 2002, la qualification surprise de Jean-Marie Le Pen pour le second tour de l’élection présidentielle avait créé l’effroi, suscité de puissantes manifestations et poussé les autres formations politiques à faire front pour défendre la République. Le 19 juin 2022, l’entrée surprise de 89 députés du RN à l’Assemblée nationale n’a pas provoqué le même sursaut.» Vingt-deux ans plus tard, en effet, une sorte de désolation mâtinée de résignation semble s’être emparée de la patrie des Droits de l’homme. Impossible de le passer sous silence, d’en rester là passivement. Régis Debray, qui n’a jamais manqué au combat, l’a souvent répété: «La pire faute en politique consiste à laisser en état ce qui doit disparaître alors même qu’on s’attache à détruire ce dont la permanence est la raison d’être et la marque d’une civilisation.»

Institutions. Jadis, de la gauche à la droite, l’affaire était entendue: le front républicain reposait sur l’idée indiscutable qu’il convenait de tenir aux marges de la République un parti qui, historiquement, l’a toujours menacée. Nous avons souvent alerté sur le danger majeur de « l’habitus » en tant que genre, même en politique. Fifille-la-voilà a bien mené sa barque, jusqu’à apparaître «notabilisée». D’où la sidération devant la dernière séquence électorale. Jusqu’à présent, le lepénisme ressemblait à un problème ponctuel surgissant tous les cinq ans, mais que, collectivement, nous mettions plus ou moins sous le tapis – pas le bloc-noteur – tant la menace demeurait diffuse, improbable. Cette fois, elle est bien là, nichée dans l’épicentre des institutions républicaines. L’habitude vient de se transformer en catastrophe. Le Monde le souligne justement: le RN dispose désormais «de 10 millions d’euros de financement public chaque année», de «la possibilité de recruter en masse des collaborateurs» et de «la certitude de peser dans un jeu parlementaire redevenu très ouvert». L’incapacité de Mac Macron II à définir un projet qu’il annonçait «progressiste», porteur d’espoir pour nombre de citoyens qui se sentent relégués, a accéléré le processus de crise démocratique, quand il n’a pas lui-même déroulé le tapis rouge en cabossant tous les principes.

Crimes. Témoin de cette désagrégation, le discours inaugural de la session parlementaire, qui, par tradition, échoie toujours au doyen des députés. Par le hasard de l’âge et de la dernière élection, l’homme s’appelait José Gonzalez, élu RN de 79 ans. Et là, ce ne fut pas un simple dérapage de service auquel nous assistâmes: nous vîmes les vrais visages de l’extrême droite, ceux qui vont peupler le Parlement durant cinq longues années. Sans scrupule, le nostalgique de la colonisation profita du Perchoir pour évoquer la mémoire des pieds-noirs à la fin de la guerre d’Algérie, puis, en marge de ce discours scandaleux, il ajouta: «Venez avec moi en Algérie, je vais vous trouver beaucoup d’Algériens qui vont vous dire “Quand est-ce que vous revenez, vous, les Français ?’”» Plus grave encore, alors qu’on lui demandait si la France avait commis des «crimes contre l’humanité» en Algérie, le représentant de l’extrême droite répondit: «Non, et certainement pas des crimes de guerre», avant d’affirmer qu’il n’était pas là «pour juger si l’OAS a commis des crimes ou pas». Vous ne rêvez pas. Cette scène se déroula le jour de l’intronisation de la première femme au Perchoir. Depuis, l’odieux José Gonzalez a bien sûr reçu les félicitations de Jean-Marie Le Pen. Ça s’est passé en France, en 2022, dans le haut lieu de la représentation nationale…

[BLOC-NOTES publié dans l'Humanité du 1er juillet 2022.]

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