Dans la dixième étape, entre l’Île d’Oléron et l’Île de Ré (168,5 km), victoire de l’Irlandais Sam Bennett. Le directeur du Tour, Christian Prudhomme, positif au Covid-19, a été écarté de l’épreuve…
Île de Ré (Charente-Maritime), envoyé spécial.
Etrange dessein... Un peu comme jadis, quand nous organisions des points météo aux petits matins des départs pour anticiper les circonstances de course et imaginer des scénarios qui savaient de nous des choses que nous ignorions d’eux, ce mardi 8 septembre ressemblait à un vaste check-up du peloton et des officiels du Tour – mais façon Covid-19. Une matinée ordinaire en apparence, sous un plein soleil d’océan aux senteurs d’embruns. Comme prévu par le protocole mis en place par ASO, tous les coureurs et membres des staffs des vingt-deux équipes, soit 650 personnes, avaient donc subi entre dimanche et lundi un test PCR. La bonne nouvelle nous parvint assez tôt: aucun des 166 rescapés n’était positif. Sursis pour nos Forçats de Septembre. En revanche, quatre membres du staff des équipes en compétition avaient vu leur profil virer au rouge: un cas chez Ineos, un chez Mitchelton-Scott, un autre chez Cofidis et un dernier chez AG2R-La Mondiale. Rappelons que, selon les rigueurs du règlement édicté lors du Grand Départ à Nice, une formation peut être exclue de la course quand deux de ses membres (coureurs et staffs compris) sont détectés. Résumons: Egan Bernal, Guillaume Martin et Romain Bardet, autrement dit les trois dauphins de Primoz Roglic au général, venaient de passer tout près de la catastrophe et d’un éloignement contraint. Le virus a posé sur leur dos la pointe acérée de l’épée de Damoclès.
Vers midi, alors qu’une partie des suiveurs dégustaient des huitres en regardant valser la mer, survint néanmoins un petit coup de théâtre qui auraient amusé nos aïeux parmi les Illustres du genre. Le directeur de la Grande Boucle, Christian Prudhomme, fut officiellement déclaré «positif» au coronavirus. Nous rigolâmes, quoi qu’il n’y eût rien de comique en vérité. Fut pris qui voulait prendre, voilà tout. Comme pour n’importe quel quidam de la caravane, la sanction tomba pour le patron de la plus grande course cycliste du monde: l’homme se voyait écarté de l’épreuve pour une semaine (1). «Je vais faire comme n'importe quel salarié français dans ce genre de cas, expliqua-t-il. Les coureurs vivent comme des moines-soldats, ce qui n'est pas mon cas. C'est pour cette raison que je n'appartiens pas à la ‘’bulle course’’ et n'ai pas de contacts avec les coureurs.»
Ce n’était pas fini. Puisque le Tour est une institution dans notre pays, l’affaire prit une tournure nationale. Nous apprîmes aussitôt, par un communiqué de Matignon, que Jean Castex allait subir lui aussi un test de toute urgence. Lors de la huitième étape, samedi dans les Pyrénées, le Premier ministre avait voyagé dans la voiture de la direction du Tour, aux côtés de Christian Prudhomme. «Ils portaient tous deux un masque et ont respecté les gestes barrières», assura Matignon. Les affaires de l’Etat se trouvaient soudain suspendue aux aléas du Tour. Car dans la foulée, Emmanuel Macron en personne déclarait que le séminaire gouvernemental prévu mercredi pourrait être retardé ou se tenir «en visio pour ce qui est du Premier ministre et des éventuels autres cas contacts». La France décide, le Tour dispose. Comme parfois dans l’Histoire.
Tandis que Christian Prudhomme s’apprêtait à regarder «le Tour à la télévision », ce qui ne lui était pas arrivé « depuis quinze ans », les coureurs prirent le départ de la dizième étape, entre l’Île d’Oléron et l’Île de Ré (168,5 km), pour une ballade terre-mer aussi plate qu’une limande, mais qui, par sa configuration topographique, risquait de réserver bien des surprises. D’une île à l’autre, prises en ciel et eaux, le parcours tournicota en bordure d’Atlantique. A tel point qu’après Rochefort (km 103), les routes devinrent tellement sinueuses et jumelles, à devenir fou, qu’elles ressemblaient à s’y méprendre aux chemins empruntés par certaines kermesses belges ou par le Ruban granitier breton, ancêtre du Tour de Bretagne. A un détail près: le facteur vent «du large», tourbillonnant, foutait les chocottes au peloton. Chacun avait révisé ses classiques, «formations d’échelons», «risques de cassures», «bordures». Dans ces moments-là, le cyclisme peut se transformer en brouillon ou en emphase dispersée, en épure réinventée, sinon en désordre organisé. Tout un art.
Après un lot de chutes, de poursuites et de chasses qui impliquèrent quelques cadors (Martin, Pogacar, Alaphilippe, etc.), le long serpentin se distendit, à très vive allure, une vague par ci, une autre par là, à la limite de la rupture sous les bourrasques frappant nord-ouest. A l’approche du pont de l’Île de Ré, à seize bornes du but, tout cassa en morceaux mais une grosse troupe se dégagea par l’avant. Ce fut miracle qu’aucun des favoris ne tombe dans le piège en vue du sprint, adjugé près de la rade de Saint-Martin-de-Ré. L’Irlandais Sam Bennett (DQT) en sortit vainqueur et récupéra le maillot vert.
D’île en île, au cœur d’une nature au style féérique, revigorante et refondatrice, le chronicoeur n’était pas mécontent d’humer l’air du large et de constater que le peloton n’était pas encore à bout de souffle. Chacun son dessein.
(1) Prudhomme, qui a été remplacé dans ses fonctions par François Lemarchand, reprendra sa place après la seconde journée de repos, lundi prochain, en Isère.
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