jeudi 13 juin 2019

Ignoble(s)

Eric Zemmour, le Trump français ? 


Plafond. «Non, jamais cela ne se produira!» Vous connaissez la formule: en France, voyez-vous, il existe un fameux « plafond de verre » qui éloignerait mécaniquement la probabilité que Fifille-la-voilà – ou l’une ou l’un de ses affidés – s’empare de l’Élysée par les urnes un soir de second tour d’une élection présidentielle. En est-on certain, désormais? La cheftaine du Rassemblement nationaliste oscille entre 44 et 47% dans toutes les intentions de vote, si elle réitérait la perspective d’une qualification. Des scores inédits, qui nous incitent à prendre conscience du danger d’accoutumance à l’idée. Ne le cachons pas, le tête-à-tête mortifère avec Mac Macron peut très mal finir (d’où l’urgence d’une réponse par la gauche de gauche). L’accident devient donc potentiellement crédible. Prenons la mesure et rendons-nous compte. Entre les deux tours de la présidentielle, le bloc-noteur écrivait ceci en 2017: «Malgré les casseroles monumentales, malgré son programme de haine si peu ripoliné, malgré les fachos qui forment encore la cohorte de son cercle dur, malgré la peur légitime de l’extrême droite, pourtant intimement liée à notre trajectoire républicaine depuis la Libération, le phénomène s’est structuré – pour toutes les raisons que nous dénonçons depuis trente ans.» Deux ans plus tard, la situation a empiré. Petit rappel aux oublieux: ce que nous pouvons appeler la «réaction néonationaliste» dans notre pays nous parvient par tous les bouts, à commencer par le bas, mais il n’y a pas de réel dénominateur commun. Nous ne sommes pas confrontés à «un» vote mais à «des» votes d’extrême droite. Ils s’additionnent. Ici, Fifille-la-voilà agglomère les déçus de tout, jusqu’à s’inventer un discours pseudo-social. Ici, Maréchal-la-voilà, avec son ultralibéralisme catho-identitaire ségrégationniste de pseudo-droite traditionnelle, récupère la plèbe poujado-pétainiste héritière du colonialisme et des petits-marchands dressés contre l’État. Quant aux autres, les nazillons des premiers jours, ils servent les intérêts immuables de cette France rance toujours là. Avec leur râteau multiforme, elles et ils râtellent large.

Salaud. Une autre thèse, pour ne pas dire une autre hypothèse stratégique, court Paris depuis deux ans. Et cette fois, il semble bien que nous y sommes. Êtes-vous prêt? Officiellement, l’illustre et pathétique Éric Zemmour n’est pas candidat à un autre statut que le sien, journaliste et essayiste. 

Pour mémoire, souvenons-nous qu’il a déjà refusé une investiture RN pour les européennes. En revanche, selon une source bien informée, il s’activerait en coulisses avec Patrick Buisson, conseiller de l’ombre de Nicolas Sarkozy, «pour donner une base doctrinale à la droite, susceptible de rallier le LR et le RN… et bien au-delà». L’homme, dit-on, serait sur le point de se laisser tenter sur une base simple: «Zemmour, le Trump français.» Plus de trois cents élus auraient déjà promis leur parrainage. Comme avec Mac Macron et le président états-unien, beaucoup pensent que le phénomène «je sors de nulle part» est reproductible. Au moins pour deux raisons: la fragmentation des audiences et des partis «classiques», et la colère des Français, dénominateur commun de toutes ces «audiences». Les conditions apparaissent ainsi réunies pour qu’un nouveau météore vienne rebattre les cartes. L’ignoble et histrion Zemmour serait tout désigné. Et sa parole obscène et révisionniste un «chemin» pour la droite et son extrême. On croit rêver! Porté par des vents crépusculaires, identitaires et xénophobes, dont il cherche à attiser la puissance, le porte-parole des nationalistes et de l’extrême droite (depuis si longtemps) aspirait jadis au statut de «Maurras du XXIe siècle», qu’une caste médiatique lui a octroyé sans rechigner. De collabo des fachos, le voilà en quête d’un destin national. Qu’importe si son ennemie intime reste la liberté, sans parler de ses diatribes contre l’égalité, les femmes, les musulmans (ils ont remplacé les juifs) et même les Lumières, qui inoculeraient l’illusion universaliste corrompant l’«identité française». Il tente de réhabiliter Pétain? Pas grave. Tapis rouge pour le salaud, au sens sartrien de l’expression! Attention: prenons l’affaire au sérieux.

[BLOC-NOTES publié dans l'Humanité du 14 juin 2019.]

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