mercredi 19 juin 2019

Dignité

Nous ne supportons plus ce climat antimigrants qui atrophie notre univers mental.

Alors que, partout en Europe, l’extrême droite progresse, nous constatons avec désolation que la passion de l’égalité se voit supplantée par l’obsession de l’identité. Le temps des boucs émissaires est de retour ; en France aussi. L’idée nous révolte tant que, ce 20 juin, pour la Journée mondiale des réfugiés, nous pensons à nos frères et sœurs en recherche de dignité et en lutte pour le droit de vivre. Et pouvoir se tenir debout. La cause de nos malheurs serait, affirment les idéologues, dans la «pression migratoire». Il suffirait même de tarir les «flux» (odieuse expression) pour éradiquer le mal-être, comme si la peur de ne plus être « chez soi » devait l’emporter sur le vivre-ensemble, la responsabilité et le partage – la longue histoire des humains, pourtant…

Disons la vérité: nous ne supportons plus ce climat antimigrants qui atrophie notre univers mental. Et nous ne supportons plus, également, l’incurie et l’inaction de l’Union européenne, qui met en danger des vies humaines pour des raisons politiciennes. Plus grave, en demeurant passive, Bruxelles laisse les populistes et les xénophobes régner sur la politique migratoire européenne. D’ailleurs, que n’entend-on pas dans la bouche de certains Français! En dépit des chiffres réels, on voudrait nous faire croire qu’accueillir 10 000, 20 000 ou 30 000 réfugiés signifierait «accueillir toute la misère du monde»? Avec 67 millions d’habitants, nous devrions être effrayés par quelques milliers de personnes en détresse? Cela dit des choses terribles sur l’état de notre société, sur le sens altéré des réalités. Non, les racines des maux contemporains ne sont pas dans le déplacement des êtres humains, mais dans le règne illimité de la concurrence et de la gouvernance, dans le primat de la finance, dans la surdité des technocraties.

Le combat est difficile. Ceux qui tendent la main le savent, en Europe comme en France. En montrant que la première des urgences reste la solidarité et le devoir d’accueil, eux, au moins, prouvent que nous ne sommes pas des barbares.

[EDITORIAL publié dans l'Humanité du 20 juin 2019.]

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