Capitaine Marleau cartonne. Le triomphe
politique de Corinne Masiero.
Politique. «Je suis une révoltée,
une révolutionnaire… C’est une vocation périlleuse.» Connaissez-vous beaucoup d’actrices capables
de prononcer semblable phrase dans les couloirs de la rédaction de l’Humanité? Et d’ajouter
ceci: «Depuis toujours j’ai
pris le parti des humbles et des opprimés – car c’est mon parti – à la face de
tous les pouvoirs établis, surtout celui de l’oligarchie financière.»
Celle qui parlait ainsi en 2015, lors d’une de ses plus belles prestations
(«rédactrice en chef d’un jour» du journal de Jaurès), cartonne
tous les mardis soir sur France 3. Un succès colossal qui nous réjouit autant
qu’il nous conforte. Corrine Masiero, née à Douai, y campe la «Capitaine
Marleau», cette héroïne atypique au franc-parler et à l’accent chti qui
pénètre dans nos salons chaque semaine pour une séance de maintien et/ou de
rattrapage politique. Le bloc-noteur assume ce qu’il vient d’écrire. Car le
personnage de cette gendarme gradée, outre qu’elle nous ferait aimer toute la
flicaille de la terre (c’est dire l’ampleur de l’exploit!), se confond
tellement avec celle qui l’incarne à l’écran que nous ne savons plus qui nous
regardons: Marleau ou Masiero ? « J’ai
tellement l'air pas fute-fute
que les gens ont pitié de moi et finissent par s'accuser de tout et de
n'importe quoi. » Cette réplique lancée par la capitaine au cours d'un
épisode de la série résume parfaitement le rôle interprété par Corinne Masiero,
une femme gendarme à la dégaine improbable, aussi sarcastique qu'attachante,
toujours flanquée d'une chapka désormais
culte et moins soviétique que confortable. Elle raconte: «Pourquoi
une gonzesse devrait être glamour? C’est encore une fois un truc qu’on
colle comme ça. Un truc machiste. Marleau, ce n’est pas ça.» L’explication
s’avère assez simple en vérité: Marleau, c’est Masiero et vice versa. La manière
dont cette comédienne de 53 ans se réapproprie ses répliques donne, en effet,
du mordant aux dialogues et offre aux téléspectateurs une authenticité rare. La
réalisatrice Josée Dayan (Le
Comte de Monte-Cristo, Les Rois maudits, etc.) ne
le cache pas: «Corinne
improvise tout le temps, elle rajoute des dialogues, des pics, des saillies
politiques qui lui viennent naturellement. Marleau est à son image, une femme
engagée, citoyenne, qui n’a pas sa langue dans sa poche.» D'autant
que l’actrice, toujours en pleine improvisation, ne prévient pas forcément ses
collègues.
vendredi 27 octobre 2017
jeudi 19 octobre 2017
Domination(s)
Le scandale des abus sexuels d’Hollywood n’en est qu’à ses débuts…
Complice. Un alignement de planètes s’avère parfois nécessaire – hélas – pour que des omertas explosent comme des étoiles. C’est seulement après que nous constatons les conséquences d’ondes gravitationnelles qui secouent l’espace-temps et, au bout du compte, nos consciences d’être humains. Nous avons tous compris que le plus gros scandale de l’histoire d’Hollywood depuis des décennies n’en était qu’à ses débuts. À l’échelle du cinéma américain, qui compte tant dans l’imaginaire collectif «occidental» et désormais bien au-delà, il y a tout lieu de penser que la presse et surtout la justice vont s’emparer des abus sexuels du producteur Harvey Weinstein pour s’interroger sur le «système» qui a prévalu si longtemps, en se posant cette question récurrente dès qu’un scandale de ce type émerge des limbes : pourquoi l’usine à rêves n’a rien vu, ou plus exactement, pourquoi n’a-t-elle rien voulu voir de ce «système» constitué de rabatteurs, d’une armée de conseils, d’agents, d’acteurs et même de journalistes? L’actrice Jane Fonda vient de révéler avoir été «au courant» de ces agissements et qu’elle avait «honte» de s’être tue. Sans se ménager, elle appelle son comportement une «culture de la complicité». Sa contrition en dit long. En cause, l’usine à harcèlement et à abus sexuel, dont il convient simplement de se demander comment elle a pu perdurer, sachant que l’actrice française Léa Seydoux, autre victime, ajoutait l’autre jour qu’elle rencontrait «tout le temps» des hommes comme Weinstein. Sous-entendu: aux États-Unis, mais également en France ou ailleurs… Appliqué à la vie de tous les jours, ici-maintenant et ici-chez-nous par exemple, imaginez un peu ce que cela signifie pour les femmes, quel que soit leur «cadre» familial ou professionnel.
Interdit. Ce que révèle l’affaire hollywoodienne, au moins, c’est que le harcèlement sexuel concerne précisément tous les milieux. Omerta. Tabou. Peur. Pression. Autocensure… Les mots se bousculent légitimement, quand des femmes courageuses osent enfin parler. Juste parler, tant il s’avère difficile – en ce domaine si particulier – de parvenir à affranchir sa propre parole, de dépasser le déshonneur vécu, de chasser ses doutes et ses craintes de répercussions pour ses proches ou sa carrière du fait même que, à tous les échelons, nos sociétés patriarcales et archaïques restent dominées par les hommes.
Complice. Un alignement de planètes s’avère parfois nécessaire – hélas – pour que des omertas explosent comme des étoiles. C’est seulement après que nous constatons les conséquences d’ondes gravitationnelles qui secouent l’espace-temps et, au bout du compte, nos consciences d’être humains. Nous avons tous compris que le plus gros scandale de l’histoire d’Hollywood depuis des décennies n’en était qu’à ses débuts. À l’échelle du cinéma américain, qui compte tant dans l’imaginaire collectif «occidental» et désormais bien au-delà, il y a tout lieu de penser que la presse et surtout la justice vont s’emparer des abus sexuels du producteur Harvey Weinstein pour s’interroger sur le «système» qui a prévalu si longtemps, en se posant cette question récurrente dès qu’un scandale de ce type émerge des limbes : pourquoi l’usine à rêves n’a rien vu, ou plus exactement, pourquoi n’a-t-elle rien voulu voir de ce «système» constitué de rabatteurs, d’une armée de conseils, d’agents, d’acteurs et même de journalistes? L’actrice Jane Fonda vient de révéler avoir été «au courant» de ces agissements et qu’elle avait «honte» de s’être tue. Sans se ménager, elle appelle son comportement une «culture de la complicité». Sa contrition en dit long. En cause, l’usine à harcèlement et à abus sexuel, dont il convient simplement de se demander comment elle a pu perdurer, sachant que l’actrice française Léa Seydoux, autre victime, ajoutait l’autre jour qu’elle rencontrait «tout le temps» des hommes comme Weinstein. Sous-entendu: aux États-Unis, mais également en France ou ailleurs… Appliqué à la vie de tous les jours, ici-maintenant et ici-chez-nous par exemple, imaginez un peu ce que cela signifie pour les femmes, quel que soit leur «cadre» familial ou professionnel.
Interdit. Ce que révèle l’affaire hollywoodienne, au moins, c’est que le harcèlement sexuel concerne précisément tous les milieux. Omerta. Tabou. Peur. Pression. Autocensure… Les mots se bousculent légitimement, quand des femmes courageuses osent enfin parler. Juste parler, tant il s’avère difficile – en ce domaine si particulier – de parvenir à affranchir sa propre parole, de dépasser le déshonneur vécu, de chasser ses doutes et ses craintes de répercussions pour ses proches ou sa carrière du fait même que, à tous les échelons, nos sociétés patriarcales et archaïques restent dominées par les hommes.
mardi 17 octobre 2017
Dialectique pitoyable
61% des personnes qui ont regardé Macron dimanche soir affirment ne «pas avoir été convaincues» à
l’issue de cette interview sans surprise, d’où il ressort l’essentiel
de son idéologie appliqué à tous les sujets économiques et sociaux: le
mépris de classe.
En politique, l’indifférence n’a rien d’un péché véniel. C’est même souvent tout le contraire, une forme de toute-puissance revendiquée. Les Français qui ont écouté Emmanuel Macron, dimanche soir, le savent aussi bien que nous. Sa tentative d’«améliorer sa relation au peuple», selon les mots off d’un de ses conseillers, a tourné au fiasco. Près de 10 millions de téléspectateurs l’ont regardé, et déjà un sondage Harris Interactive vient doucher ses espoirs: 61% des personnes «exposées à la prise de parole du président» affirment ne «pas avoir été convaincues» à l’issue de cette interview sans surprise, d’où il ressort l’essentiel de son idéologie appliqué à tous les sujets économiques et sociaux: le mépris de classe. Et il assume! Alors que le climat a sévèrement évolué depuis la signature des ordonnances, le chef de l’État, tel qu’en lui-même, a défendu son style comme ses choix stratégiques, sans jamais tenter de jouer sur l’affect ni regretter, ne serait-ce qu’entre les lignes, quelques-unes de ses expressions suffisantes, qui jalonnent son court séjour à l’Élysée («fainéants», «ceux qui ne sont rien», etc.). Au moins porte-t-il le vrai visage du pouvoir qu’il incarne, à savoir une politique au service des plus riches et du capital financier. Qu’on ne s’y trompe pas, sa parole et ses actes ne changeront pas. Ses propos sur la supposée «jalousie» de ceux qui souffrent envers les riches, et plus encore sa métaphore de la «cordée» sont d’une limpidité exemplaire. Cela présuppose qu’à aucun moment il n’existe d’antagonisme d’intérêt ou social entre «ceux qui réussissent» – donc les patrons et les riches – et ceux qui suivent, relégués la plupart du temps…
Ainsi, critiquer des choix fiscaux qui vont provoquer de nouvelles injustices criantes reviendrait à être jaloux des «gagneurs»? Tout s’exprime là, dans cette vision du monde si proche d’un salon de Lampedusa, mais si loin de la pensée de Jaurès. Cette dialectique de la «réussite individuelle» à tout prix, en opposition bien sûr à la justice sociale, est tellement pitoyable que nous n’avons qu’une phrase pour la qualifier: Macron est le président d’une grande entreprise de domination, celle des puissants.
[EDITORIAL publié dans l'Humanité du 17 octobre 2017.]
En politique, l’indifférence n’a rien d’un péché véniel. C’est même souvent tout le contraire, une forme de toute-puissance revendiquée. Les Français qui ont écouté Emmanuel Macron, dimanche soir, le savent aussi bien que nous. Sa tentative d’«améliorer sa relation au peuple», selon les mots off d’un de ses conseillers, a tourné au fiasco. Près de 10 millions de téléspectateurs l’ont regardé, et déjà un sondage Harris Interactive vient doucher ses espoirs: 61% des personnes «exposées à la prise de parole du président» affirment ne «pas avoir été convaincues» à l’issue de cette interview sans surprise, d’où il ressort l’essentiel de son idéologie appliqué à tous les sujets économiques et sociaux: le mépris de classe. Et il assume! Alors que le climat a sévèrement évolué depuis la signature des ordonnances, le chef de l’État, tel qu’en lui-même, a défendu son style comme ses choix stratégiques, sans jamais tenter de jouer sur l’affect ni regretter, ne serait-ce qu’entre les lignes, quelques-unes de ses expressions suffisantes, qui jalonnent son court séjour à l’Élysée («fainéants», «ceux qui ne sont rien», etc.). Au moins porte-t-il le vrai visage du pouvoir qu’il incarne, à savoir une politique au service des plus riches et du capital financier. Qu’on ne s’y trompe pas, sa parole et ses actes ne changeront pas. Ses propos sur la supposée «jalousie» de ceux qui souffrent envers les riches, et plus encore sa métaphore de la «cordée» sont d’une limpidité exemplaire. Cela présuppose qu’à aucun moment il n’existe d’antagonisme d’intérêt ou social entre «ceux qui réussissent» – donc les patrons et les riches – et ceux qui suivent, relégués la plupart du temps…
Ainsi, critiquer des choix fiscaux qui vont provoquer de nouvelles injustices criantes reviendrait à être jaloux des «gagneurs»? Tout s’exprime là, dans cette vision du monde si proche d’un salon de Lampedusa, mais si loin de la pensée de Jaurès. Cette dialectique de la «réussite individuelle» à tout prix, en opposition bien sûr à la justice sociale, est tellement pitoyable que nous n’avons qu’une phrase pour la qualifier: Macron est le président d’une grande entreprise de domination, celle des puissants.
[EDITORIAL publié dans l'Humanité du 17 octobre 2017.]
jeudi 12 octobre 2017
Flâneur(s)
Bagage. Sujet délicat. Celui du temps des aveux, en quelque sorte. Que l’on s’inflige à soi-même, non sans tremblements ni périls, quand on ausculte de près tout combat solitaire transformé en devoir sans gloire… Durant près de trois ans, le journaliste et écrivain Pierre-Louis Basse fut conseiller «grands événements» de François Hollande. Un titre pompeux à la signification simple : l’homme devint l’une des «plumes» du président. Cette expérience particulière nous est donnée à lire, dans le "Flâneur de l’Élysée" (éditions Stock, 272 pages). Et Pierre-Louis nous livre un vrai texte littéraire. Un exploit rare, sinon essentiel, que nous consignerons pour toujours parmi les rares références du genre. Vous l’avez compris. Le bloc-noteur prend le risque de l’éloge lucide. Pensez donc. Vanter le récit édité d’un ex-conseiller de Normal Ier, après tant de chroniques acharnées contre l’ancien occupant du Palais, quelle forfaiture! Pas facile, n’est-ce pas, de laisser de côté l’affect politique. Et de ne pas reprocher à cet homme, avec le recul, d’avoir dit oui à un chef d’État qui lui proposait d’œuvrer dans les coulisses de l’ultrapouvoir. L’auteur lui-même, d’ailleurs, interroge dès le début de son livre le sens de sa démarche: «Maman, la communiste de toujours – vaincue en 1989 par le cancer et la chute du mur de Berlin réunis –, n’aurait pas caché son amertume et sa colère. Son propre fils embauché par un président social-démocrate. (…) Je soulève un coin de rideau du temps qui passe si vite, et j’aperçois son regard de braise: “Mon petit Pierrot, tu pètes vraiment au-dessus de ton cul!”» Seulement voilà, ces années à l’Élysée, le «petit Pierrot» les assume.
Telle une habile mise en abyme personnelle. Comme un bagage lourd à porter, un joli fardeau pouvant brûler l’échine et lacérer les raisons même de l’engagement. Car tout figure dans ce récit de souvenirs aigres-doux enfantés à l’intérieur de cette bourgeoise «pension de famille». L'écriture talentueuse et sincère. Le souffle ténébreux. La franchise crue. L’ampleur humaniste. Et, bien sûr, une double amertume: celle générée par le désolant bilan d’un quinquennat, d’où le caractère annonciateur du propos; celle aussi de s’être souvent senti inutile, de ne jamais (ou trop rarement) retrouver trace de ses propres écrits dans les discours du président, biffés, reformulés, démembrés. Le conseiller ne ménage pas sa peine, mais finit par se désoler d’assister, impuissant, au massacre de sa «copie» par des collègues rompus aux humiliations, tous énarques ou presque. «On veut du souffle!» lui ordonne Jean-Pierre Jouyet. Pierre-Louis constate: «À peine quelques semaines dans la pension, et je n’étais déjà plus qu’un élément de langage. J’avais le bourdon.» Se dresse peu à peu le portrait d’une machine à broyer – aux satisfactions exceptionnelles.
lundi 9 octobre 2017
« Bordel » organisé
Ce mardi, les fonctionnaires sont donc dans l’action à l’appel de la totalité des neuf fédérations syndicales qui regroupent les 5,4 millions de salariés des trois secteurs concernés (État, hospitalier et territorial). Un événement considérable.
Le «bordel», ça s’organise. C’est même à ça qu’on reconnaît l’esprit français. Dans son genre, Emmanuel Macron aura réussi un bel exploit dans l’histoire sociale récente, que nous mettrons pour une fois à son crédit. En quelques mois d’exercice, il a reconstitué une unité syndicale qui n’avait plus été observée dans la fonction publique depuis au moins dix ans. Ce mardi, les fonctionnaires sont donc dans l’action à l’appel de la totalité des neuf fédérations syndicales qui regroupent les 5,4 millions de salariés des trois secteurs concernés (État, hospitalier et territorial). Un événement considérable, à la mesure du moment et des enjeux. Et bien que leurs revendications soient en apparence «catégorielles», elles concernent chacun d’entre nous, ce qui nous permet d’écrire en toute conscience: les fonctionnaires entrent dans la danse! Pour le dire autrement, le front «social» anti-Macron s’élargit. Mieux, les agents publics montrent l’exemple de l’unité, en quelque sorte, d’autant qu’il ne s’agira pas d’une «simple» journée de grève et de mobilisations afin de réclamer l’ouverture d’«une véritable négociation salariale», mais bien d’un mouvement large pour défendre – en général – l’avenir des services publics, ce bien commun de tous, à commencer par ceux qui n’ont rien ou si peu…
jeudi 5 octobre 2017
Violence(s)
Samedi dernier, sur France 2: face aux larmes de Sandrine Rousseau, l’effroyable arrogance égocentrée de Christine Angot...
Dérive. Ainsi donc, au règne de l’infobésité et du spectacle télévisuel, tout est possible. Et parfois tout se résume à une question: jusqu’où accepte-t-on d’aller pour provoquer du «buzz», construire de la «polémique» et, au bout du compte, assurer des «audiences»? Cette interrogation s’adresse cette fois à Laurent Ruquier, ce qui ne s’était jamais produit sous la plume du bloc-noteur en quinze années d’exercice. Mais ce qui s’est déroulé samedi dernier sur le plateau d’On n’est pas couché, sur France 2, n’appartient hélas plus au simple ressort des «dérapages» constatés périodiquement dans la bouche de ses chroniqueurs depuis tant d’années, mais bien d’une dérive en bonne et due forme, dérive d’autant plus sournoise qu’elle semble occuper chaque semaine un peu plus d’espace à mesure que les seuils de tolérance progressent, quels qu’en soient les coupables ou les raisons. Sandrine Rousseau, ancienne porte-parole nationale d’Europe Écologie-les Verts, y venait pour évoquer la sortie de son livre, Parler (Flammarion), dans lequel elle témoigne de l’agression sexuelle dont elle aurait été victime de la part du député écologiste Denis Baupin, et encourager les femmes victimes à ne plus rester dans le silence. Sujet clivant, passionné et évidemment compliqué, puisque l’affaire en cause a été classée «sans suite» par la justice pour «prescription des faits». Face à Sandrine Rousseau, Christine Angot et Yann Moix, les dégoupilleurs du PAF parés du statut de «chroniqueurs», qui confère, chacun le sait, beaucoup de liberté de ton, du rire à la méchanceté, de l’ironie douce à la descente en flammes. Parfois suscitant des larmes. Comme l’autre jour. Les larmes de Sandrine Rousseau. Nous ne jugerons pas là le bien-fondé de ses sanglots ni leur pertinence en un tel lieu, car ce qu’elle voulait, au fond, était assez prosaïque et plutôt nécessaire: elle souhaitait que les téléspectateurs entendent la souffrance des millions de femmes violées, agressées, harcelées, humiliées verbalement, autant de personnes abîmées par leur témoignage ou, la plupart du temps, enfermées dans leur silence. Face à elle, Christine Angot, que nous ne présentons plus et qui, comme écrivaine, se forgea une réputation de «langage cru», avec l’Inceste et Une semaine de vacances, des écrits consacrés aux viols infligés par son père. Avec Sandrine Rousseau, pourtant, Angot fut ni plus ni moins violente, sans affect et sans nuance, cassante et hurlante, niant même à son interlocutrice non pas le droit de témoigner mais le procédé même de son témoignage.
Dérive. Ainsi donc, au règne de l’infobésité et du spectacle télévisuel, tout est possible. Et parfois tout se résume à une question: jusqu’où accepte-t-on d’aller pour provoquer du «buzz», construire de la «polémique» et, au bout du compte, assurer des «audiences»? Cette interrogation s’adresse cette fois à Laurent Ruquier, ce qui ne s’était jamais produit sous la plume du bloc-noteur en quinze années d’exercice. Mais ce qui s’est déroulé samedi dernier sur le plateau d’On n’est pas couché, sur France 2, n’appartient hélas plus au simple ressort des «dérapages» constatés périodiquement dans la bouche de ses chroniqueurs depuis tant d’années, mais bien d’une dérive en bonne et due forme, dérive d’autant plus sournoise qu’elle semble occuper chaque semaine un peu plus d’espace à mesure que les seuils de tolérance progressent, quels qu’en soient les coupables ou les raisons. Sandrine Rousseau, ancienne porte-parole nationale d’Europe Écologie-les Verts, y venait pour évoquer la sortie de son livre, Parler (Flammarion), dans lequel elle témoigne de l’agression sexuelle dont elle aurait été victime de la part du député écologiste Denis Baupin, et encourager les femmes victimes à ne plus rester dans le silence. Sujet clivant, passionné et évidemment compliqué, puisque l’affaire en cause a été classée «sans suite» par la justice pour «prescription des faits». Face à Sandrine Rousseau, Christine Angot et Yann Moix, les dégoupilleurs du PAF parés du statut de «chroniqueurs», qui confère, chacun le sait, beaucoup de liberté de ton, du rire à la méchanceté, de l’ironie douce à la descente en flammes. Parfois suscitant des larmes. Comme l’autre jour. Les larmes de Sandrine Rousseau. Nous ne jugerons pas là le bien-fondé de ses sanglots ni leur pertinence en un tel lieu, car ce qu’elle voulait, au fond, était assez prosaïque et plutôt nécessaire: elle souhaitait que les téléspectateurs entendent la souffrance des millions de femmes violées, agressées, harcelées, humiliées verbalement, autant de personnes abîmées par leur témoignage ou, la plupart du temps, enfermées dans leur silence. Face à elle, Christine Angot, que nous ne présentons plus et qui, comme écrivaine, se forgea une réputation de «langage cru», avec l’Inceste et Une semaine de vacances, des écrits consacrés aux viols infligés par son père. Avec Sandrine Rousseau, pourtant, Angot fut ni plus ni moins violente, sans affect et sans nuance, cassante et hurlante, niant même à son interlocutrice non pas le droit de témoigner mais le procédé même de son témoignage.