jeudi 12 octobre 2017

Flâneur(s)

Pierre-Louis Basse, après trois ans passés à l'Elysée, publie un grand livre sur son expérience de "plume" du président. 

Bagage. Sujet délicat. Celui du temps des aveux, en quelque sorte. Que l’on s’inflige à soi-même, non sans tremblements ni périls, quand on ausculte de près tout combat solitaire transformé en devoir sans gloire… Durant près de trois ans, le journaliste et écrivain Pierre-Louis Basse fut conseiller «grands événements» de François Hollande. Un titre pompeux à la signification simple : l’homme devint l’une des «plumes» du président. Cette expérience particulière nous est donnée à lire, dans le "Flâneur de l’Élysée" (éditions Stock, 272 pages). Et Pierre-Louis nous livre un vrai texte littéraire. Un exploit rare, sinon essentiel, que nous consignerons pour toujours parmi les rares références du genre. Vous l’avez compris. Le bloc-noteur prend le risque de l’éloge lucide. Pensez donc. Vanter le récit édité d’un ex-conseiller de Normal Ier, après tant de chroniques acharnées contre l’ancien occupant du Palais, quelle forfaiture! Pas facile, n’est-ce pas, de laisser de côté l’affect politique. Et de ne pas reprocher à cet homme, avec le recul, d’avoir dit oui à un chef d’État qui lui proposait d’œuvrer dans les coulisses de l’ultrapouvoir. L’auteur lui-même, d’ailleurs, interroge dès le début de son livre le sens de sa démarche: «Maman, la communiste de toujours – vaincue en 1989 par le cancer et la chute du mur de Berlin réunis –, n’aurait pas caché son amertume et sa colère. Son propre fils embauché par un président social-démocrate. (…) Je soulève un coin de rideau du temps qui passe si vite, et j’aperçois son regard de braise: “Mon petit Pierrot, tu pètes vraiment au-dessus de ton cul!”» Seulement voilà, ces années à l’Élysée, le «petit Pierrot» les assume. 

Telle une habile mise en abyme personnelle. Comme un bagage lourd à porter, un joli fardeau pouvant brûler l’échine et lacérer les raisons même de l’engagement. Car tout figure dans ce récit de souvenirs aigres-doux enfantés à l’intérieur de cette bourgeoise «pension de famille». L'écriture talentueuse et sincère. Le souffle ténébreux. La franchise crue. L’ampleur humaniste. Et, bien sûr, une double amertume: celle générée par le désolant bilan d’un quinquennat, d’où le caractère annonciateur du propos; celle aussi de s’être souvent senti inutile, de ne jamais (ou trop rarement) retrouver trace de ses propres écrits dans les discours du président, biffés, reformulés, démembrés. Le conseiller ne ménage pas sa peine, mais finit par se désoler d’assister, impuissant, au massacre de sa «copie» par des collègues rompus aux humiliations, tous énarques ou presque. «On veut du souffle!» lui ordonne Jean-Pierre Jouyet. Pierre-Louis constate: «À peine quelques semaines dans la pension, et je n’étais déjà plus qu’un élément de langage. J’avais le bourdon.» Se dresse peu à peu le portrait d’une machine à broyer – aux satisfactions exceptionnelles. 


Panthéon. Au fond, le théâtral roman du pouvoir ne trouve pas grâce aux yeux de Pierre-Louis Basse. Par les mots, celui qui fut un immense homme de radio nous aide même à y voir clair quand il évoque les combines des courtisans, les us et coutumes grotesques, la trahison des idées. Lui ose l’écrire, comme un rappel à l’ordre: «Nous savons bien que les gens de peu demeurent souvent les plus courageux sur le front de tous les combats.» Et pourtant il l’avoue: «Personne n’aurait pu dire qu’il se fichait de ne pas plaire au Président.» Chacun se demandera: pourquoi n’a-t-il pas quitté semblable lieu, s’étant sans doute trompé de porte? S’il résista, ce fut par esprit «politique». Une certaine idée des valeurs de gauche, de la culture, de l’histoire, qu’il tentera de promouvoir entre les interstices. Son Panthéon? Ce sera d’imposer des voisinages de cœur, Modiano, Schlöndorff, d’Ormesson, de continuer d’ériger au-dessus de tout la mémoire des Manouchian, Timbaud, Môquet, d’inciter le président à avoir un coup de cœur pour Ernest Pignon-Ernest, l’une de ses petites fiertés, au milieu de ce qui ressemble à un chemin de croix. «Le souffle s’est tari à force de courir dans tous les sens de la page», confesse-t-il. Reste un grand livre. Cruel, mais jamais méchant. 


[BLOC-NOTES publié dans l'Humanité du 13 octobre 2017.]

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