jeudi 5 octobre 2017

Violence(s)

Samedi dernier, sur France 2: face aux larmes de Sandrine Rousseau, l’effroyable arrogance égocentrée de Christine Angot... 

Dérive. Ainsi donc, au règne de l’infobésité et du spectacle télévisuel, tout est possible. Et parfois tout se résume à une question: jusqu’où accepte-t-on d’aller pour provoquer du «buzz», construire de la «polémique» et, au bout du compte, assurer des «audiences»? Cette interrogation s’adresse cette fois à Laurent Ruquier, ce qui ne s’était jamais produit sous la plume du bloc-noteur en quinze années d’exercice. Mais ce qui s’est déroulé samedi dernier sur le plateau d’On n’est pas couché, sur France 2, n’appartient hélas plus au simple ressort des «dérapages» constatés périodiquement dans la bouche de ses chroniqueurs depuis tant d’années, mais bien d’une dérive en bonne et due forme, dérive d’autant plus sournoise qu’elle semble occuper chaque semaine un peu plus d’espace à mesure que les seuils de tolérance progressent, quels qu’en soient les coupables ou les raisons. Sandrine Rousseau, ancienne porte-parole nationale d’Europe Écologie-les Verts, y venait pour évoquer la sortie de son livre, Parler (Flammarion), dans lequel elle témoigne de l’agression sexuelle dont elle aurait été victime de la part du député écologiste Denis Baupin, et encourager les femmes victimes à ne plus rester dans le silence. Sujet clivant, passionné et évidemment compliqué, puisque l’affaire en cause a été classée «sans suite» par la justice pour «prescription des faits». Face à Sandrine Rousseau, Christine Angot et Yann Moix, les dégoupilleurs du PAF parés du statut de «chroniqueurs», qui confère, chacun le sait, beaucoup de liberté de ton, du rire à la méchanceté, de l’ironie douce à la descente en flammes. Parfois suscitant des larmes. Comme l’autre jour. Les larmes de Sandrine Rousseau. Nous ne jugerons pas là le bien-fondé de ses sanglots ni leur pertinence en un tel lieu, car ce qu’elle voulait, au fond, était assez prosaïque et plutôt nécessaire: elle souhaitait que les téléspectateurs entendent la souffrance des millions de femmes violées, agressées, harcelées, humiliées verbalement, autant de personnes abîmées par leur témoignage ou, la plupart du temps, enfermées dans leur silence. Face à elle, Christine Angot, que nous ne présentons plus et qui, comme écrivaine, se forgea une réputation de «langage cru», avec l’Inceste et Une semaine de vacances, des écrits consacrés aux viols infligés par son père. Avec Sandrine Rousseau, pourtant, Angot fut ni plus ni moins violente, sans affect et sans nuance, cassante et hurlante, niant même à son interlocutrice non pas le droit de témoigner mais le procédé même de son témoignage.


Assaut. Résumons: Sandrine Rousseau se tromperait de propos dans son livre, en privilégiant le «discours» contre la «parole». Des reproches qui se transformèrent vite en agression télévisuelle assez significative en vérité. Sandrine Rousseau, qui n’a jamais prétendu à l’art littéraire, a juste essayé de témoigner d’un événement afin d’obtenir une réaction collective et politique visant à transformer les perceptions sociales et les normes juridiques qui gouvernent les violences sexuelles dans notre pays, bref, à aider par tous les moyens, y compris politiques, donc, à ce que le désir masculin sorte d’un modèle prédateur. Méritait-elle semblable assaut? Signalons au passage que, après l’enregistrement, le clash entre les deux femmes fut si éloquent que la production choisit de couper la séquence durant laquelle Angot venait de quitter violemment le plateau, tandis que les larmes de l’invitée, elles, étaient conservées au montage. Le débat n’eut pas lieu. Seul le chaos subsista; les larmes de Sandrine Rousseau; et l’effroyable arrogance égocentrée de Christine Angot… Histoire de rééquilibrer les choses, le bloc-noteur vous invite à lire Une semaine de vacances: vous y découvrirez à quel point Christine Angot sait être éprouvante, choquante et abjecte quand elle narre l’inceste et/ou la pédophilie sans détour ni prudence, jusqu’à l’écœurement absolu du procédé littéraire utilisé. Comme quoi, personne n’est à l’abri. Un peu d’humilité ne nuit jamais à l’intelligence ni à l’humanité! 


[BLOC-NOTES publié dans l'Humanité du 6 octobre 2017.]

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