Facebook et les réseaux sociaux sont des monstres froids entre les mains d’agitateurs exaltés.
Facebook. Un peu comme Serge Daney à la fin des années 1980, qui s’était forcé – pour des raisons autant journalistiques qu’anthropologiques – à ingurgiter des programmes de télévision à haute dose afin d’en comprendre les ressorts pour mieux les déconstruire dans des chroniques célébrissimes données à Libération (rassemblées dans « le Salaire du zappeur », POL, 1993), le bloc-noteur, depuis dix semaines, comme certains le savent, expérimente donc Facebook. Dans les bras de la pieuvre. Certes, avec beaucoup moins d’ambition que le grand Daney, puisqu’il n’y aura, ici, ni tenue régulière des affres de cette toile-là, ni exégèse de cette espèce de démence qui guette tous ceux qui se connectent parfois compulsivement. Entre ceux qui affirmaient sans rire: «Tu entres enfin dans le XXIe siècle!» et d’autres qui prédisaient: «Tu perds ton temps, ce n’est pas pour toi», admettons que le point nodal ne se situe ni dans l’un ni dans l’autre, encore moins dans cette zone grise par laquelle tout pourrait se justifier. Après tout, chacun s’y vautre à sa convenance, mélangeant sans fioritures son ego ou sa mise à distance, selon son bon vouloir et sa rigueur propre. Et au milieu? Coule une rivière… de tout et n’importe quoi. Comme pour s’en prémunir faussement, deux principes fondateurs ont néanmoins guidé la «démarche», chacun pouvant en tirer un conseil. Primo: s’astreindre à un profil «public», histoire de ne pas susciter «interprétations» ou «quiproquos». Secundo: rien de personnel, ou en tout cas, le moins possible, la frontière étant toujours poreuse en ce domaine, et la tentation redoutable sinon mortifère. Résultat? Déjà plus de 1 200 «amis» en deux mois. «Amis»: terme impropre, convenez-en, qui met en pièces sa définition même et ce par quoi nous nous y attachons dans l’existence, surtout par grands vents. Mais passons.
Monstres. Rien à dire sur ce qu’il y a de «professionnel» ou de «littéraire», hormis quelques commentaires dont nous nous passerions volontiers et face auxquels il convient de réfréner ses ardeurs. Côté «actualité» et «politique», l’une des raisons d’être du bloc-noteur, c’est une autre aventure. Oublions les aspects «positifs», qui peuvent, dans le meilleur des cas, participer de la saine «transmission» d’informations ou de points de vue à usage multiple que nous ne trouverions pas du côté des médias dominants, concentrons-nous un instant sur la production permanente de bribes d’«infos» soit mensongères, soit à demi véridiques, soit authentiques, certes, mais souvent volontairement compromettantes et la plupart du temps étayées par des «opinions» dignes d’idéologues des pires périodes. Alors? Les astuces et les réflexes des journalistes restent les plus fiables. Un: qui me parle? Deux: comment remonter à la «source»? Trois: comment vérifier les images avant de les relayer? Quatre: comment décrypter certains messages évidents, tels que «Faites tourner» ou tout autre formule de type «Diffusez à tous vos contacts»? Cinq: comment traquer les fausses rumeurs, les cyberattaques et autres «fake news», qui envahissent jusqu’à nos cerveaux, d’autant que l’actualité elle-même, la politique en premier lieu, devient de plus en plus déconcertante? Vieille affaire. Comme le rappellent les historiens depuis quelques semaines, à la faveur de l’élection états-unienne, la désinformation n’en est pas à ses débuts et parcourt la nuit des temps. Maintenant, qui est responsable? La «machine» qui la suscite, sans être redevable, pardi, de ceux qui l’utilisent? Ou l’utilisateur, qui use et abuse de la «machine» et de ses engrenages en tant que laminoirs? Retenons juste que Facebook et les réseaux sociaux sont des monstres froids entre les mains d’agitateurs exaltés. Jusqu’au jour où un président américain invente un acte terroriste en Suède. Et l’un de ses conseillers un massacre au Kentucky.
[BLOC-NOTES publié dans l’Humanité du 24 février 2017.]
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