mardi 11 octobre 2016

Les quartiers populaires ont besoin d’un choc de dignité

Nous parlons là de territoires de la République en décrochage, où la grande pauvreté et les conditions d’existence atteignent un tel degré d’atomisation sociale que les faits et gestes élémentaires de la vie quotidienne sont empêchés ou laminés.
 
Cité de la Grande Borne.
C’est toujours la même histoire, la même dialectique: s’indigner sans stigmatiser, tout en regardant la réalité de face, dans toute sa brutalité, en chassant autant que possible cette part d’émotionnel médiatique et politique qui ruine souvent toute pensée raisonnée. Trois jours après l’attaque terrifiante contre des policiers à deux pas de la Grande Borne, cité à cheval entre Viry-Châtillon et Grigny, les interrogations s’enchâssent tellement les unes dans les autres qu’il faudrait revenir à la source de tous les maux pour y comprendre quoi que ce soit. Car, enfin, que se passe-t-il vraiment pour que des enfants de la République – attendons les résultats de l’enquête – en viennent non pas à caillasser de loin un véhicule par colère ou haine, mais tentent, par des moyens odieux, d’assassiner des fonctionnaires dans l’exercice de leurs missions? Nous parlons là de territoires de la République en décrochage, où la grande pauvreté et les conditions d’existence atteignent un tel degré d’atomisation sociale que les faits et gestes élémentaires de la vie quotidienne sont empêchés ou laminés. Chômage de masse, précarité, paupérisation, destructions des services publics… Que deviennent dès lors nos jeunes – qu’ils soient héritiers de l’immigration ou non – au gré d’une société inégalitaire, d’une éducation à la dérive et d’un monde où seul est glorifié le culte du fric de rue et des trafics?
 
Comprendre ne justifiera jamais l’injustifiable. Mais refuser toute forme de complaisance vis-à-vis des petites frappes qui pourrissent le quotidien des habitants ne peut être synonyme d’aveuglement devant l’aggravation des conditions de survie de zones urbaines entières. On nous dit que l’absence de moyens, en particulier pour augmenter la présence policière, n’explique pas tout. On nous dit que les quartiers s’éloignent de la République. N’est-ce pas plutôt la République qui s’éloigne des quartiers? Ces quartiers ont pourtant besoin d’un choc de dignité! Il ne s’agit pas d’un simple cri d’alarme pour sauver l’honneur, mais bien d’un acte d’espérance pour réveiller les consciences. Du travail, de l’éducation, de l’aménagement du territoire… Ne nous cachons pas la vérité. L’avenir de la République se joue en grande partie dans ces quartiers populaires. Si le décrochage se poursuit, la République elle-même se perdra.
 
[EDITORIAL publié dans l’Humanité du 12 octobre 2016.]

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