Minute de silence... |
Cette main, minuscule et fébrile, enserre et ne lâche rien, elle ne soutient que petitement la ville à vivre encore et encore et toujours. «Hier soir, ça canardait, ici, dit la femme en question. J’ai lu dans la presse qu’un policier avait déclaré: “C’était l’enfer de Dante.” Vous vous rendez compte? L’enfer de Dante… Vous l’écrirez, hein?» Des voitures de police passent dans un sens, puis dans l’autre sens. Toutes les têtes se tournent soudain pour suivre le mouvement d’un coup d’œil impliqué dont on comprend immédiatement qu’il sera désormais fréquent sinon quotidien. «Ça ressemble à ça, la guerre de civilisation?» demande un homme. «Ce serait la guerre, on ne serait pas là ce soir, et puis nous ne sommes pas en guerre de civilisation contre des terroristes, qui ne représentent qu’eux-mêmes et surtout pas une civilisation», répond son voisin, tel un expert. «Va falloir quand même définir de quoi il s’agit, alors…», insiste le premier. La troupe s’enhardit. «On marche ensemble, hein?», glisse une jeune femme.
Saint-Denis. Mercredi en fin d’après-midi, rue de la République, à Saint-Denis, le cheminement de nos corps ne témoigne qu’imparfaitement du traumatisme, quant à nos pas collectifs et métronomiques, ils rythment une progression d’apparence fantomatique quoique revêche. Devant la poste centrale, à l’angle de la rue du Corbillon – où des terroristes sont venus s’échouer dans un appartement tels des détritus dans le bras mort d’une rivière –, une coexistence ordinaire reprend ses droits. «Ici ce n’est pas la menace qui nous menace, c’est la vie ensemble qui nous aide à vivre», murmure Ahmed, la soixantaine. Un peu plus loin dans cette rue de la Rep devenue au fil des générations l’artère principale, l’aorte de Saint-Denis, des gamins crient un bon coup, jouent déjà, dans le vacarme d’une ville en action retrouvée, comme le volume d’un film de nouveau mis trop haut, qui étourdit. Les magasins de fringues et les boutiques, toutes les enseignes de restauration possibles et imaginables seront de nouveau pris d’assaut. Mohamed, la trentaine, éprouve le besoin de mots: «On ne sait jamais d’où proviennent les plaies, leur naissance, leur profusion, puis comment elles se nichent dans les cerveaux, dans les interstices de l’âme…» Dans l’air, la transparence des jours bizarres. Les gens se croisent, s’adressent des saluts amicaux comme des promeneurs en pleine forêt. Les habitudes de citoyenneté et de solidarité reviennent vite.
[BLOC-NOTES publié dans l'Humanité du 20 novembre 2015.]
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