vendredi 24 juillet 2015

Tour : Froome a un visage, il est même humain

Entre Saint-Jean-de-Maurienne et La Toussuire (138 km), l’Italien Vincenzo Nibali, vainqueur de l’édition 2014, remporte la dix-neuvième étape, la reine des Alpes. Quintana a attaqué le maillot jaune et repris 30 secondes. De quoi nourrir des espoirs samedi, dans l’Alpe d’Huez?

Froome, lâché par Quintana...
La Toussuire (Savoie), envoyé spécial.
Et soudain, dans ses déhanchements inesthétiques si caractéristiques, comme s’il s’employait à abolir tout style en lui, Chris Froome se positionna étrangement en danseuse, à la manière d’un pur grimpeur. L’imminence d’un danger sans doute : le Britannique était attaqué, rien d’anormal, mais cette fois le Colombien Nairo Quintana prit quelques mètres et nous sentîmes le maillot jaune en légère difficulté. Il était pourtant tard – trop tard – dans cette étape royale des Alpes, la plus belle assurément, entre Saint-Jean-de-Maurienne et La Toussuire (138 km) et quatre ascensions au programme, dont l’épouvantable col de la Croix de Fer (2067 m, 22,4 km à 6,9%). Les patrons du peloton se trouvaient alors à six bornes du sommet de La Toussuire, et Froome, avec sa pédalée de moulin à vent, montra des signes de lassitude. Quintana prit vingt mètres, puis cinquante, puis cent…

Le maillot jaune releva le buste et la tête à plusieurs reprises, en recherche d’oxygène, huma une bouffée de taillis frais sur sa gauche, puis, pivotant légèrement le visage sur la droite, retrouva la souffrance du silence sans lever le pied, comme on s’adoucit après une colère. Froome, rapidement délaissé par ses équipiers en perdition (dont Geraint Thomas, quatrième au départ), était seul face à lui-même pour limiter les dégâts. Nous lui vîmes à cet instant précis un visage : un visage humain. Et lui comprit au même moment que tous les silences ne se valent pas. Parfois le bruit des spectateurs sur le Tour, qu’ils soient amicaux ou hostiles, rend au silence une forme de terreur non-dite.

Depuis longtemps déjà, le revenant Vincenzo Nibali avait remporté cette étape de prestige. Pas très à la fête depuis le départ, l’Italien, vainqueur de l'édition 2014, était en recherche d’un exploit, de quoi rehausser son charisme à la hauteur de ce qu’il ambitionnait au départ. Il courrait après. En vain. Et se lamentait de voir bien meilleur que lui. Dans les Pyrénées, l'Italien avait même jugé que c'était son «petit frère» qui était aligné à sa place sur cette édition 2015. Depuis l’arrivée dans le massif alpin, nous avions constaté du mieux le concernant. Confirmation ce vendredi 24 juillet. Lancé à l'attaque dans le col de la Croix-de-Fer, à plus de cinquante kilomètres de l'arrivée, après avoir constaté que Chris Froome (Sky) était victime d'un (petit) souci mécanique, le Sicilien remonta puis déposa Pierre Rolland (Europcar), parti en éclaireur, avant de réussir une chevauchée qui avait un goût de fantastique. Au passage, Nibali remonte à la quatrième du général – plus conforme à son statut.
 
Signalons que Romain Bardet (AG2R La Mondiale) resta, lui, sur son rythme de la veille: après avoir gagné la 18e étape à Saint-Jean-de-Maurienne, il a chassé avec succès les points aux sommets des différents cols pour s’emparer du maillot à pois. Une avance précaire.
 
Le chronicoeur, qui n’attendait plus grand-chose de la course, se doit donc d’écrire la vérité d’un jour: Nibali n'a pas fait trembler Christopher Froome (Sky). Quant à Nairo Quintana, dont nous nous demanderons longtemps pourquoi il a attendu si tard pour placer une authentique banderille, il n’a finalement repris que trente secondes au maillot jaune, qui conserve 2'38" d'avance au général alors qu’il ne reste plus qu’une étape de montagne, ce samedi, à l'Alpe d'Huez, avec de nouveau l’ascension de la Croix de Fer en remplacement du Galibier: le village de La Grave, placée dans la descente du col mythique, est coupé de sa principale route d'accès à Grenoble depuis trois mois, à la suite d’un éboulement majeur.
 
Néanmoins, allez savoir… Le Colombien Nairo Quintana l’a annoncé depuis des jours et des jours : il entend marcher sur les traces de son compatriote Lucho Herrera, qui avait franchi en vainqueur en 1984 la ligne d'arrivée tracée au sommet de l'Alpe d'Huez. « Le nom d'Herrera marquera à jamais l'histoire de la Colombie, a-t-il déclaré. Son succès, le premier de cette ampleur pour un Colombien en Europe, est un acte fondateur pour le sport de notre pays. » Vainqueur du Giro en 2014, Quintana ambitionne toujours de devenir le premier Colombien à remporter le Tour. «Indépendamment du fait que ce serait prestigieux d'imiter une légende comme Lucho, l'Alpe, avec ses 21 virages, est une côte que j'apprécie vraiment beaucoup. Comme il y a deux ans, lors de mon premier Tour, je serai très motivé au moment de l'aborder.» En 2013, Quintana avait pris la 4e place de cette étape remportée par le Français Christophe Riblon. Il avait surtout distancé Chris Froome, l'actuel maillot jaune, d'un peu plus d'une minute…
 
Le chronicoeur s’attend donc à une course de côte de l’extrême. Une sorte de quitte ou double pour Quintana. A moins que ce ne soit un sauve-qui-peut pour Froome. Le dernier.

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